Des reliefs nets aux ombres vives
« Des reliefs nets aux ombres vives » est le titre sibyllin choisi par Eva Taulois pour cette exposition en deux volets. Comme souvent, elle fait appel à une autre forme d’art pour nommer ses oeuvres en empruntant ici une phrase tirée d’un livre, mais la mémoire de l’artiste hésite entre la romancière et cinéaste Marguerite Duras et le poète et le performeur David Antin : l’auteur de ces quelques mots reste ainsi incertain.
Ce titre raconte des relations entre des surfaces et de la lumière, il suggère deux parties se répondant, à l’image des deux volets de l’exposition : l’un en intérieur et l’autre en extérieur.
L’image choisie pour annoncer l’exposition est extraite d’un manuel de géologie. Eva Taulois a retiré les légendes de ce schéma faisant état d’un environnement et des climats. Les aplats colorés ainsi dénudés basculent dans une abstraction dont la forme trapézoïdale renvoie aux toiles du mouvement Colorfield painting (littéralement : Peinture en champs de couleur) né dans les années 1940-1950 à New York.
Son nouveau projet s’inscrit en continuité avec ses expositions de 2017 et 2018, à la BF15 de Lyon, au Centre d’art Les Capucins à Embrun et au Frac des Pays de la Loire. Pour Saint-Briac, elle abolit la frontière entre dedans et dehors et, imagine un grand paysage. Celui-ci est composé, au deuxième étage de l’ancien presbytère, d’une famille d’oeuvres en cours comprenant des surfaces à contempler, des constructions à observer, d’inhabituels contenants colorés, en un savant mélange de motifs abstraits et paysagers. À l’extérieur, la proposition est entièrement nouvelle et consiste en la conception et la réalisation de volumes construits, combinant la double fonction de jardinières et d’assises, disposés dans le jardin du presbytère, devant la mairie et au belvédère du Jardin Armel-Beaufils, en surplomb de la baie du Béchet. Par l’invitation faite à Eva Taulois, l’aide apportée à la production de ce que l’on peut considérer comme des prototypes, la Ville de Saint-Briac-sur- Mer poursuit son engagement à l’égard de l’art actuel tout en continuant à mener, après la formidable réussite des 122 Nuances de bleu de Christophe Cuzin, une réflexion sur les usages contemporains de l’espace public.
PRESBYTÈRE
Une atmosphère intime se dégage des oeuvres exposées au presbytère : un tapis, une assise, un miroir… l’artiste souhaite que le visiteur puisse contempler l’exposition surpris par une étrange familiarité des formes. Un tapis/tableau que l’on doit contourner, une assise peinte sur laquelle on peut s’asseoir :
Eva Taulois joue un jeu de proximité et de distance avec le public.
Le tapis est une surface particulière à peindre, douce et molle, que l’artiste a brossé doucement à l’horizontale. Peindre sur un tapis, c’est regarder vers les arts décoratifs, et aussi une manière de rompre avec le principe qui voudrait qu’un objet, une matière ne corresponde qu’à une seule fonction, un seul usage, une seule forme. La couleur est très présente et les motifs floraux se déploient tant au sol que sur les assises. C’est lors de son exposition à la BF15 à Lyon qu’Eva Taulois commence à s’intéresser aux techniques traditionnelles de la peinture florale sur textile oscillant entre stylisation et réalisme, très développées dans cette ville depuis le XVIIe siècle. Les fleurs d’Eva Taulois sont proches de l’ornement et s’apparentent plutôt à des tâches lumineuses : « Je fais toujours appel à la même gamme, la peinture acrylique Flashe de Lefranc Bourgeois, une peinture avec un très haut pouvoir pigmentaire qui a la spécificité d’être mate. »*
Au mur, des matelas peints sont accrochés tel un grand tableau composé de cinq panneaux. Sans repentir possible, la peinture appliquée directement, tire, une fois séchée, la toile plastifiée et crée des reflets ainsi que de légers plis.
« En faisant des recherches sur les salles de danse et de sport, je suis tombée sur des images qui montraient de grands matelas bleus de salle de gym, parfois juste stockés contre les murs, potentiellement activables au sol. A nouveau, je retrouvais ce passage de la verticalité à l’horizontalité. J’ai alors pensé cette oeuvre comme une partition dynamique de ce qui s’écrivait dans le dialogue entre les sculptures. »*
Une œuvre en forme de dôme, une autre formée d’un grand miroir, une autre évoquant un cactus, sont disposées dans l’espace comme des personnages immobilisés. Leur socle fait partie de leur composition et toutes sont sujettes au déplacement. Les discrètes roulettes sous les socles blancs par exemple, les écartent légèrement du sol et indiquent une mobilité potentielle. Dans son exposition au Frac des Pays de la Loire, Eva Taulois avait créé une performance rythmée et sonore mettant en scène trois scénarios possibles d’accrochage
de ces œuvres.
* citations extraites de : Rouge feu, bleu Klein, vert mélèze Éva Prouteau/Eva Taulois. - Rennes : Sombres Torrents, 2018.
Dessins préparatoires
Photo : Marc Domage et Nicolas Goupil
ESPACE PUBLIC
Jardin Armel-Beaufils, devant le presbytère, devant la mairie
Les œuvres produites par Eva Taulois pour le volet extérieur de son exposition sont la plupart pensées pour permettre le repos et admirer la vue.
Les sculptures, qui sont aussi des jardinières et pour certaines de petits bancs, présentent deux éléments en contraste : la dureté du carrelage et la chaleur du végétal.
Les formes choisies sont géométriques, presque des « greffes de socles », raconte Eva Taulois. Elles se répondent en formes et contre-formes, les découpes des matériaux étant dessinées les unes par rapport aux autres dans un jeu d’économie de matériaux de construction.
Les petits carreaux de verre réchauffés par des couleurs gaies, est à nouveau une allusion à des lieux domestiques ou sportifs : la salle de bain, la piscine. C’est aussi un matériau qui a marqué le design italien des années 1980.
Ce sont toutes ces strates de perception qui intéressent Eva Taulois. Les plantes sont, elles, choisies pour leurs qualités sculpturales : fleurs à pompons jaunes, larges feuilles découpées ou alors pour leurs qualités picturales : souplesse et fondus des plantes graminées. On retrouve dans cette observation des formes, des matières et des couleurs, les mêmes préoccupations de l’artiste que dans les oeuvres exposées au presbytère.
Textes de Alice Malinge
Télécharger : fracbr-docpublic-evataulois-st-briac2018.pdf
© Adagp, Paris