Entretien entre Florian Sumi et Elsa TomKowiak
Elsa, il me revient de résumer notre mois et demi d’échange, cette centaine de millier de signes à réduire à leur plus strict minimum. Je n’ai pas eu de mots résonnants ni de visions aiguisées pour traduire ce qui m’a toujours retenu dans ton travail.
Je l’ai toujours perçu comme en dehors du tumulte des questions culturelles, au delà d’un système bavard de références et de convocations. Il me semble aller chercher dans un fond plus proche de la vie tout en laissant persister des souvenirs d’espaces d’un autre type. Des espaces dont les règles et les lois dépasseraient celles d’une réalité concrète. Parce que les formes que tu emploies ne me semblent pas inscrites dans le monde visible. Et si je me souviens toujours de l’acoustique d’un espace que je visite, les tiens me restent absolument sourds. Aussi sourd qu’un territoire vierge que l’on foule pour la première fois. J’en ressors toujours avec un sentiment de puissance, de force, qui doit se faire l’écho de quelque chose que je n’arrive pas énoncer.
Alors j’ai sondé et sondé toujours plus ce fond fort et muet qui caractérise chacune de tes propositions. Et tu as parlé petit à petit. Puisque je n’ai pas plus de mots maintenant, j’ai décidé de livrer ce qui me semble être le plus simple et le plus éloquent dans tes réponses. J’ai laissé mes initiales, elles suffisent amplement à évoquer notre longue discussion.
Florian Sumi :
Elsa Tomkowiak: Ne pas dissocier sa vie de son travail est une volonté. Prendre du recul est de ce fait aussi quelque chose de laborieux, parfois il me faudra plusieurs mois pour comprendre ce que je viens de déplacer. Il me semble que ce que j attends de l’art soit de l’ordre de l’inconnu.
Florian SUMI :
ET: Effectivement. C’est drôle que tu dises mettre en lumière l’invisible, je me suis déjà figurée que mon travail serait figé à la lumière du jour (comme se fige la peinture en séchant), et que dans l’obscurité il prendrait une autre forme ! Ce qui se fige dès lors est une possibilité.
FS :
ET: J’aime que tu évoques cette idée d’œuvre non référentielle bien que je n’ai jamais réfléchis en ces termes exactement, il me semble que bien que le cercle traverse nombres de mes recherches, je ne donne à voir que des fragments, des images tronquées, des formes résiduelles, des contre formes dépouillées.
De ces visions éclatées, parcellaires, on ne peut se rattacher à rien d’autre que ce qui les constitue concrètement, les matériaux, la facture … ce qui est sous nos yeux. Le fragment est comme une idée de non fini, il ne laisse que présager.
FS :
ET: Cette image d’accalmie dans un processus me plait. Je pense d ailleurs que c’est pour cette raison que je tiens à ce que chaque étape constitutive du travail soit appréhendable, jusqu’à la fameuse trace de brosse, la “touche” !
L’image d’un processus, d’un mouvement. Celui des éléments disparates, des corps à l’action, poussés dans l’urgence. Un tout, un possible latent, figé dans quelque chose de très fragile, précaire.
FS :
ET: Oui le paysage est un mot important pour moi. Il est l’espace qui nous grandit, il est parmi d’autres images qui comptent pour moi, … un espace qui n’a pas de vocation. Il peut tout y advenir.
Le paysage, c’est aussi ces images de strates inattendues, de tectonique des plaques, de mouvement des eaux, de souterrains, de magma, des idées de géographie aussi.
Même si je ne cherche pas à figurer le (des) paysage(s), je travaille certainement à retrouver des sensations que je n’éprouve qu’en son contact.
FS :
ET: Oui, la stratification minérale a toujours exercé une fascination chez moi. La « strate » (qui peut prendre la forme d’une bande) est pour moi un mode de composition, à l’image de l’accumulation des gestes, de la sédimentation des pensées, en somme une métaphore du processus de création.
FS :
ET: Ineptie ? Anomalie? Oui, c est une lutte contre la fatalité! L’artifice de la couleur m’aide beaucoup en ce sens! Je refuse une logique chromatique comme une fatalité. Les couleurs avec lesquels je travaille sont une idée de la couleur, dans tout ce qu’elle a de plus coloré en somme. Si tu demandes à un enfant quelle est sa couleur favorite, il est bien rare qu’il te réponde une nuance de gris! Quand je pense couleur, je ne pense pas dé saturé, je pense rythmique.
FS :
ET : Le cercle est la forme la plus parfaite et la moins formée, il n’a ni direction, ni sens, il est très malléable.
FS :
ET : Je n’aborde pas la forme, la couleur, ni même l’ampleur de manière isolée, mais de manière globale. Je crois que mon utilisation des matériaux, par leur traitement impulsif a son rôle… Je veux dire que dans les choix que je fais (d’urgence et d’efficacité), je tiens à quelque chose de rudimentaire et de précaire… à l’image des sillons, des tunnels, des crevasses, des boyaux, des grottes, des éperons, des escarpements …
Mais peut être plutôt que de disséquer les composantes de mon travail, nous devrions aborder les choses comme un tout. Peut être ça à voir avec le chaos?… tous ces éléments qui on fait un tout cohérent.
On vit dans un univers mouvant, désordonné, sauvage, et violent, que l’on cherche par tous les moyens à maitriser. Je me demande si je ne cherche pas finalement à créer des espaces où le chaos aurait sa place. Peut être il s’agit d’un chaos filtré!
A priori, parce que fragmentaire, la possibilité de ce qu’on peut projeter est non prévisible. Parce que je ne veux pas obéir de manière systématique aux lois de la physique, à celle des couleurs… C’est l’ineptie dont tu parles! Dans des choses parfois très construites il y a de la place toujours pour l’imprévisible. (Bob Dylan pour l’anecdote, a dit que le chaos était son ami!)
Tu m’as dit que j’abordais l’art avec une grande virginité, la virginité est peut être aussi en lien avec cette image de chaos. Chaos comme possible latent, une force… une force pure? Du coup les lieux que j affectionne comme les friches, les terrains vagues, les démolitions, les carrières, ces espaces transitoires … ne sont ils pas l’image du chaos? L’éphémère ou plutôt le temporaire, je préfère ce mot, n’est il pas à l image du chaos aussi ?… un présent inattendu. Il ne s’agit pas de violence ou de désordre négatif… La violence dont il s’agit c’est la force, la puissance qui s’agite, comme le son d une putain de guitare qui se déchire !! Des montagnes qui s’élèvent. Comme tu dis, cette force naturelle et invisible.
Si ce n’est rien de connu, si c’est fragmentaire, si c’est de l’ordre de l’invisible, si c’est s’emparer des vides, si c’est l’image de l’immensité, si c’est une force, peut être c’est l’énergie du chaos! Une possible réalité à un moment précis.
Le chaos est toujours ici et maintenant. Il est au présent puisqu’il est imprévisible, à notre image. Nous sommes des êtres imprévisibles. L’imprévu est un basculement, un bouleversement de la ligne… Je tiens beaucoup à l’idée de perturbation, de l’inattendu, je n’aime pas ce qui me glisse dessus, je veux être bouleversée.