Damien
Rouxel

MÀJ . 17.09.2024

Marie-louise

Exposition Lignes de vies – une exposition de légendes au MAC VAL à Vitry-sur-Seine du 30 mars au 25 août 2019
Laure Weil, 2019

Le mur est un champ à ratisser et à ensemencer. Travail méthodique presque laborieux de l’artiste Damien Rouxel pour trouver l’emplacement de chaque pièce. Une parcelle de soi transmise de génération en génération dont on cultive l’héritage. Équilibre fragile qu’on ne peut plus trop bouger dans une sorte de nature morte où le quotidien côtoie parfois le sublime. Une liberté à retrouver dans des limites déjà fixées. D’un côté, la gravité du père tenant les cordes des mains liées et de l’autre, la fantaisie libérée du fils prêt à exécuter une danse du ventre aux côtés de sa mère. Entre ces deux extrêmes bien balisés du masculin qui tient les ficelles et du féminin qui fait la belle, l’édifice est ruiné par un aphorisme qui jette l’opprobre sur ce portrait recomposé d’une famille idéale. Le musée se transforme en salle à manger avec ses lés de papier peint aux motifs bucoliques et ses photos de famille. Quelle nourriture sert-on ici pour remplir le creux des assiettes ? A quelle sauce vat-on se faire manger ? Quel morceau de choix à se mettre sous la dent ? L’accrochage manifeste non sans malice un certain penchant vers le bas. En haut, les représentations attendues avec les portraits en pied. En bas l’horizontalité du corps qui se penche tel Narcisse sur son reflet et n’en retire qu’un masque grossier. A terre, une sculpture faite du même bois se hisse vers le ciel. La créature mi-homme mi- animale s’extirpe de sa condition physique en arborant l’anneau qu’on fixe au museau des bovins pour contrôler leurs humeurs. Élans contradictoires d’un désir d’émancipation adouci par les longs cils d’un regard langoureux et, cloué au sol, ce qui nous retient à notre condition première. Une grande violence du corps qui cherche à s’affranchir de son état contraint à l’immobilité. La marie-louise sert traditionnellement d’espace de transition entre l’œuvre et le cadre. Ici pas d’encadrement systématique. Limites et bordures deviennent perceptibles par tout un jeu de cadre ou de collage brut de certaines photos à même le mur. Quelle limite met-on entre soi et les autres ? De quel cadre doit-on s’affranchir ? Quelle marge s’accorde-t-on pour faire advenir un autre je ? Quels remparts de vide érige-t-on pour prendre la mesure de sa finitude ? Marie-louise comme un prénom composé qui scelle l’indéterminé de la naissance. On est parfois destinataire d’un héritage impossible à trancher. Descendance trouble marquée par cet entre-deux où l’on reste lié aux fantômes et où on se projette dans un nouvel être. L’artiste rapproche ou creuse l’écart qui le mène à cerner son identité. Expansion d’un espace qu’il faut ajuster pour ne pas s’y perdre. Tout se joue entre cette ultime limite du cadre imposé et l’œuvre, dans une transition des possibles explorée sans relâche. L’installation est un arrêt sur images qui met provisoirement un terme à ce qui relie l’artiste à ses origines. Un trait d’union entre un passé dont il faut se défaire pour se projeter dans une vision renouvelée. Une réconciliation des contraires, du vernaculaire et de la culture savante, de l’intime et du public, de l’unique et du multiple qui prend la mesure d’une quête sans fin. La profondeur de l’espace photographié est limitée, nous ramenant à la frontalité d’une vision qui refuse toute échappatoire. Ce qui est donné à voir s’offre immédiatement sous nos yeux dans une proximité qui se veut familière et sans artifices. Pas de perspective sur le paysage. Pas de faux fuyant. Cette radicalité dialogue étrangement avec le vestiaire mis en scène dans l’installation de l’artiste Soufiane Ababri d’en face. D’un côté, voyeurisme et sexualité affirmés avec ces ouvertures rondes et caricaturalement démesurées qui focalisent l’attention du spectateur en le tenant à distance. De l’autre, un déplacement du regard vers un champ culturel où la question de l’identité y compris sexuelle passe par l’histoire de l’art et se dissémine dans un espace à la fois proche et élargi. Refus d’un regard orienté vers son seul désir et affirmation d’un regard qui ne circonscrit pas son objet à la seule image narcissique de soi. S’entourer de ses proches en les associant à une lignée de personnages connus permet à l’artiste d’agrandir sa famille. Inutile de chercher à se fixer quelque part. Chacun se transforme en un autre. Le portrait adopte tous les genres qu’ils soient religieux ou mythologique. La généalogie se recrée par citations à travers l’histoire de l’art. La mère se révèle à la fois castratrice et modèle hors pair en Sainte Vierge, Vénus ou époux travesti, le père plus vulnérable qu’il n’y parait, la sœur parfaite en garçon manqué et le fils prodige oscille entre grandeur et décadence. Quant au vraisemblable, il se cultive ici parmi les siens au jour le jour par filiation artistique.