Christelle
Familiari

12.07.2022

Né à Nantes comme tout le monde

Extrait du catalogue "Né à Nantes comme tout le monde"
Benoît Lecarpentier, 2007

En 1995, Christelle Familiari organisait une série de sept expositions dans le salon de son appartement vidé pour l’occasion. Repenser maintenant, par la périphérie, à ce que pouvaient mettre en jeu ces expositions, soit la permissivité d’un espace privé, intime, offert à l’expérimentation d’autres artistes, amène d’emblée à repenser aux espaces transitionnels que créent nombre d’œuvres de Christelle avec leur public, par leur présence, leurs demandes et leurs oscillations. Proposer un corps support d’action mais « faire la sculpture » (les performances) et par là retrouver une autorité propre à la présence de l’œuvre d’art, fabriquer des surfaces planes pour mieux dire la tactilité des présences et des volumes (Le portique, les Sièges biplaces, le tapis Étendue), mettre en scène des jeux physiques avec l’architecture et livrer à l’image des errances fantomatiques.

L’une de ses premières performances, La combinaison avec fermeture Éclair, invitait un par un les visiteurs à entrer dans une pièce. Alors, face à face avec Christelle assise au sol et revêtue (tête et pieds inclus) d’une combinaison crochetée munie d’une fermeture Éclair (qui s’ouvrait de la tête jusqu’au sexe), le visiteur était amené à décider de son action. Le silence de cet environnement révélait la présence physique, vivante (et non celle d’un simulacre) du corps de l’artiste mais donnait surtout matière à celle du visiteur possiblement esseulé face à cette rencontre ; et face à cette pièce qui subitement l’incluait…

Une part importante de l’activité de Christelle consiste à fabriquer des surfaces planes, données par la nature des matériaux souples employés (laine, élastique, fil de fer), et par la répétition d’un geste dont la mécanique confine au tissage, qui constamment se superposent, s’écrasent, se plient. Le tapis Étendue (présenté au FRAC des pays de la Loire en 2004) produit par maillage concentrique se constitue d’une centaine d’éléments circulaires désincarnés. Assemblé et déployé, Étendue qui ne pourrait être que le résultat d’une intense activité physique, prend subtilement l’aspect imprévu d’un autoportrait, conséquence du temps de fabrication et des erreurs, des enthousiasmes et des lassitudes qui ont accompagné sa réalisation et que rendent lisibles la comparaison des enchaînements de mailles, de leurs rythmes. Les objets en laine présentés au mur ou sur table ne trouvent que le plan de leurs patronages. Le Siège biplace, Le portique, lorsque présentés mais inutilisés révèlent leurs flasques formes anthropomorphes qu’offre le poids de leurs matériaux. Mais utilisés, ces objets, par le volume du corps qui s’immisce, qui les vêt, affirment l’ampleur des désirs et doutes auxquels ils s’adressent.

En avril 2006, l’exposition Un, des corps (Le Parvis, Tarbes). Une même vidéo est projetée sur trois écrans suspendus dans l’espace. Cette vidéo se compose d’une série d’actions produites par deux gymnastes, un agrès (une robe noire de celles que portent les femmes boliviennes), l’espace et les accrocs de l’architecture du centre d’art. Cet ensemble qui appelait des entrechocs allait produire une série de figures et de parcours contraints de l’espace qui donneraient la matière des séquences vidéo. En parallèle, il apportait la conscience de l’environnement sonore perturbé du centre d’art (celui-ci est situé dans la galerie marchande d’un centre commercial). Christelle proposa l’usage de boule quiès aux visiteurs et par ce possible confort auditif redéfinissait, en l’isolant, le lieu d’exposition.

Révéler ainsi une (des) intimité(s), des lieux, en plaçant le corps, le sien ou celui des visiteurs au centre des attentions travaille à questionner ces rencontres d’individualités. Celle de Christelle, qui transparaît dans les fabrications, les échelles des œuvres - son corps sert de gabarit au poids des objets, à leurs dimensions, révèle son endurance et sa force - celle de l’amateur dont la surprise est attendue et l’inclusion dans un espace négocié par l’artiste voulue. Il m’a ainsi toujours semblé que Christelle mettait en jeu des process sous couvert d’une présentation d’objets, et qu’ainsi les surfaces planes fabriquées n’attendaient que les volumes des corps, des déambulations pour révéler leur ampleur. Cette œuvre, et par contagion ces expositions sont ainsi au présent de leur temps de monstration, comme en écho à la pratique de la performance telle qu’envisagée par Christelle, attentive à ce que l’acte ne soit jamais réitéré, à ce que l’effet de surprise et de positionnement obligé persiste. Ce présent révèle l’une des constantes sur laquelle se construit ce travail qui fait des rivalités entretenues par des corps, les uns contre les autres, les uns vers les autres, l’illustration d’une attention portée à l’échange et à la disponibilité qui seules permettent l’enthousiasme qui sut dire un soir cette phrase à laquelle j’acquiesçais : « Tu veux voir mes vidéos ? ».

Benoît Lecarpentier 303, Juillet 2007, Extrait du catalogue Né à Nantes comme tout le monde