Camille Girard
& Paul Brunet

30.11.2020

Le bonheur est dans le pré

Catalogue 58ème Salon de Montrouge
Sébastien Gokalp, 2013

Il était une fois deux jeunes artistes, une photographe et un fan de bandes dessinées, qui s’aimaient d’amour tendre. À tel point qu’ils décidèrent de s’unir dans toutes leurs oeuvres par le dessin. Ils dessinaient ensemble des heures durant, s’absorbant dans un travail minutieux d’après photo. L’un finissait les phrases que l’autre commençait, chaque attention était partagée. Pour éviter toute distinction, chacun prenait la place de l’autre au bout de quelque temps pour finir ce que sa moitié avait commencé. Ils se tournèrent vers ce monde merveilleux qui était le leur, empli de jouets d’enfances, d’aventures sidérales, de petits chats câlins, de jardins arborés, de farnientes nus au soleil.

Pour ne pas rompre cette magie, ils s’attachent à le rendre à l’identique, au plus près de la photographie, au plus profond des détails, n’hésitant pas à inventer une matière, redonner de l’épaisseur à un brin d’herbe flou, rendre précis ce qui n’attache habituellement pas le regard. Mais alors que leur aîné Jean-Olivier Hucleux recherchait la profondeur, alors que les hyperréalistes jouaient des textures, ils tissent au contraire une surface neutre où chaque centimètre a la même valeur, celui du lavis gris ou de l’aquarelle aqueuse. Un bout de tapis, un Playmobil, une tennis délacée, un papier ramassé prennent autant d’importance que leurs visages, absorbés dans la contemplation de leur propre plénitude. La composition cède le pas à un doux désordre, celui de leur vie quotidienne, dans laquelle chaque objet n’a qu’une valeur relative. La perspective est oubliée, seule compte la présence des choses dans leur champ de vision, à portée de regard. L’encre, le graphite, tout ce qui leur passe sous la main a droit de cité sur une feuille, du carnet 6x9 cm au format double grand-aigle. Le dessin comme moyen d’appréhender le monde.

On chercherait en vain un regard critique ; un choc entre l’art occidental et le Réalisme socialiste comme dans les toiles de Vinogradov et Dubossarsky ; une pornographie acidulée à la Tursic & Mille ; une dénonciation de la société contemporaine, encore moins une neutralité issue du Nouveau Roman ou un effacement de l’auteur.

Non, si les dessins de ces adulescents sont presque irritants, c’est qu’ils ne font que retranscrire la banalité du quotidien du XXIe siècle, sans lendemains qui chantent ni distance ironique, absorbés dans un présent qui ne prétend rien offrir mais se suffit à lui-même.

Camille et Auguste, Frida et Diego, Robert et Sonia, l’histoire regorge de couples d’artistes passionnés aux histoires tumultueuses ; Camille et Paul, sans emphase ni effet de style, semblent ouvrir une nouvelle voie, avec une honnêteté réjouissante. catalogue 58ème Salon de Montrouge