Camille Girard
& Paul Brunet

30.11.2020

Trois chats cool, 2017

Trois chats cool
Mains D’Œuvres – Saint Ouen, 2017
Commissariat : Ann Stouvenel
Avec le soutien d’Ars Ultima – Stein & Guillot Art Foundation, mécènes.

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Vues de l’exposition.
Photo : Margot Montigny

« TROIS CHATS COOL »

Les dessins au pinceau de Camille Girard et Paul Brunet pourraient d’abord laisser croire à une tentative de représenter avec la plus grande exhaustivité ce qui entoure au plus près le duo, soit une sorte d’écosystème fermé sur lui-même, grouillant, qui se démultiplie de feuille en feuille tout en restant dans une circonférence extrêmement restreinte, de leur salon à leur jardin. Et pourtant, l’exposition rétrospective Trois chats cool à Mains d’Œuvres montre combien le voyage le plus extraordinaire peut rester circonscrit à ce que nous connaissons le mieux – combien les œuvres se déploient bien au-delà du périmètre de ce qu’elles représentent. 

Fraîchement diplômés des Beaux Arts de Quimper en 2008, le premier travail que Camille Girard et Paul Brunet réalisent ensemble consiste à dessiner les fleurs qu’ils avaient plantées devant leur maison, au fur et à mesure de leur croissance. Espace clos habité par leurs chats, le jardin pourrait se présenter comme la parabole de leur mode de vie et revient à plusieurs reprises : ainsi cet hommage au Déjeuner sur l’herbe de Manet, où les deux artistes fixent le spectateur, nus dans la verdure, leurs vêtements négligemment jetés au premier plan Super Roots (2010). L’intériorité recluse dans laquelle ils paraissent se plaire se décline également dans l’obsession minutieuse portée à chaque détail de leur intérieur. Superheroes (2010) les montre déguisés, un poil ridicules, entourés d’un véritable capharnaüm organisé. À la manière d’un cabinet de curiosité contemporain, l’étendue du savoir de leurs propriétaires y est étalé ; catalogue de Daniel Johnston, Nan Goldin ou du Festival de la photographie d’Arles 2004, CD de Sonic Youth et DVD de David Lynch côtoient Bob l’éponge ou Maître Yoda. L’enfance dialogue avec la fin des Beaux-arts et semble demander quels artistes ils pourront bien être. L’extrême précision dans les détails, le soin maniaque avec lequel chaque élément est représenté invitent le spectateur à déchiffrer jusqu’au titre des ouvrages, dans une exploration du dessin digne d’un Xavier de Maistre en voyage autour de sa chambre. « Aussi, lorsque je voyage dans ma chambre, je parcours rarement une ligne droite : je vais de ma table vers un tableau qui est placé dans un coin ; de là je pars obliquement pour aller à la porte ; mais, quoique en partant mon intention soit bien de m’y rendre, si je rencontre mon fauteuil en chemin, je ne fais pas de façons, et je m’y arrange tout de suite. » Si Camille Girard et Paul Brunet observent leur maison comme un univers à découvrir sans relâche, le spectateur est invité à scruter les images offertes, gambadant d’une référence à l’autre, s’arrêtant sur l’une avant de se perdre à nouveau dans la profusion. Le regard se fait tant flâneur que voyeur. Virginie (2014) n’échappe pas à cette règle ; les cubes en bois d’enfant s’empilent sur des torchons à carreau posés sur un tapis persan, une mappemonde côtoie une peluche d’éléphant, et nous rêvons dans ces jeux de motifs à un voyage quotidien dans notre vie ordinaire, comme les enfants que nous étions étaient seuls capables de le faire.

Quand il y a de la couleur, celle-ci se fait vive et les lavis d’aquarelle denses, presque opaques. Mais elle disparaît avec le temps au profit d’un travail à l’encre de Chine, tandis que le duo ouvre son champ d’investigation. La table et l’armoire, La cuisine, Le sac enfance, Les deux chats sont autant de titres qui désignent une série de travaux réunis sous le nom 24 rue Madame de Pompéry – leur adresse. L’espace domestique est omniprésent. D’abord la façade de leur maison, puis une boîte de nuit vide, puis les artistes qu’ils rencontrent, avec qui ils se lient. Le monde s’ouvre. Des figures que l’on reconnaît deviennent à leur tour des motifs. S’ils n’étaient auparavant que des références sur les tranches de livres, les artistes sont devenus des personnages bien réels, qui posent en compagnie du couple pour la photographie qui servira de modèle au dessin. Les super héros qu’ils étaient semblent s’être trouvés, ils font preuve d’une plus grande audace, se jouent de l’image ; des collages perturbent la lecture, la même scène se répète sur la feuille, les reflets mêlent les régimes de représentation et troublent la vision, les marges sont assumées et la sculpture s’invite, comme ce motif jaune sur fond de marine noire (L’oreille, encre de Chine sur calque, 2016, dessin d’une œuvre de Camille Tsvetoukhine).

Mais alors, pourquoi leur travail se trouve-t-il toujours classé dans la catégorie du dessin ? L’utilisation systématique du pinceau permet de douter du statut des œuvres produites… Pour Trois chats cool, les deux artistes s’engagent franchement dans la peinture avec une série de monochromes qui ponctuent l’accrochage de respirations colorées. Ils sont d’anciens plateaux colorés d’un bar à cocktail. En 2016, invités par la même Camille Tsvetoukhine [qu’ils avaient, avec leur collectif WOOP (Romain Bobichon, Paul Brunet, Camille Girard et Yoan Sorin) invitée chez eux en résidence ] à intervenir sur une plage avec treize autres artistes pour un projet simplement dénommé My Beach, ils avaient créé ce meuble de convivialité. Ici découpé, il devient peinture. 

Ainsi ce n’est plus le travail d’un couple reclus qui se présente dans cette exposition, mais plutôt celui d’une communauté d’artistes qui se crée, sortie de l’enfance et à l’orée de l’âge adulte, rechignant toujours à y entrer peut-être – l’accrochage est prévu assez bas pour que les petits puissent voir les œuvres. Une famille comme un parcours se dessinent d’une aquarelle à une encre, le long de cet accrochage qui invite à la marche linéaire mais refuse toute forme de chronologie. Un univers semble-t-il banal déploie ses potentialités oniriques ; les œuvres sont ces animaux cool qui déambulent accompagnés de leur smala d’amis et d’histoires contenues, pudiquement dévoilées. Les deux artistes nous invitent à jouer avec eux au jeu des correspondances, à sauter à cloche pied entre les références, à retrouver les motifs et les accords, pour chanter le refrain des trois chats dilettantes.

SOPHIE LAPALU, 2017

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