Antoine
Dorotte

04.06.2015

Sur un coup d'surin

Sur un coup de d’surin (replay), 2013,
256 plaques gravées, eau-forte et aquatinte, bois, néon, vidéoprojection
Vues de l’exposition Magmas & Plasmas au FRAC Aquitaine, 2014.
Photos : Jean Christophe Garcia

sur un coup d’surin (replay), autre pièce montrée dans l’exposition, “rejoue” sur un coup d’surin, pièce exposée pour la première fois en 2007 dans la salle des essais du Musée des beaux-arts de Bordeaux. A l’époque elle se déployait sur un centaine de mètres carrés, elle est maintenant présentée sous forme d’un mobilier compact, un grand panneau incliné recouvert de 256 feuilles de zinc de 15x20 cm, dont l’animation image par image est diffusée en boucle sur une tablette dissimulée dans le piètement. Il est question d’un combat à l’arme blanche, inspiré de celui des leaders des jets et des sharks de West Side Story, sur fond de nébuleuse métaphysique et entomologique.

Extrait de la note d’intention de l’exposition Magmas & Plasmas au FRAC Aquitaine en 2014.

Sur un coup d’surin, 2007

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Sur un coup d’surin,2007
260 plaques gravées, eau-forte et aquatinte, bois, néon, vidéoprojection
Coproduction Musée des Beaux-Arts de Bordeaux
Vues de l’exposition au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

SUR UN COUP D’SURIN

Cran-Dard vs Bomb-X : quelque part, au delà des galaxies, ils s’affrontent dans un combat sans merci… A moins qu’une goutte d’eau écrasée entre deux lames de verre ne constitue l’arène du microscopique combat opposant ces organismes d’apparence humaine mais dotés d’attributs d’insectes: ocelles, trompe, dard et… couteau-papillon. Calembour ; masques de catch ; comics ; néons et fonds monochromes ; gravure (on peut penser aux désastres de la guerre) ; blousons noirs et apaches 1900 ; armes blanches et entomologie. Toute une panoplie d’imageries hétéroclites semble s’être donné rendez-vous dans l’installation d’Antoine Dorotte.
Ce jeu de références et de correspondances à plusieurs étages pourrait d’ailleurs apparaître comme une constante de son travail. Les rébus géants, condensés/dilutions de sens, les séries étirables de dessins emballés au cellophane, les dessins d’espion, les personnages réels se glissant sur des planches de bandes dessinées ou parfois définitivement plombés par les vignettes gravées… Antoine Dorotte est un dessinateur qui aime manipuler : ici, le cinéma.
La rixe à laquelle on assiste est une variation sur la scène de bagarre au couteau dans West Side Story, mais dans le passage d’un médium à l’autre un certain nombre de distorsions ont eu lieu. L’écran de la salle obscure est passé du format Cinémascope à celui du dessin. Exit décor et figurants. La musique sympa a disparu. On retrouve la séquence d’aplats colorés due à Saul Bass, mais le Technicolor laisse ensuite place à un noir et blanc charbonneux et saccadé qui n’est pas sans rappeler les débuts du muet.
A ce détournement drastique de la superproduction hollywoodienne, correspond le choix d’une technique qu’on pourrait qualifier d’artisanale voire d’archaïque : la gravure. Image après image, Antoine Dorotte s’empare du travail effectué par l’équipe de Robert Wise en s’interdisant tout repentir là où le cinéma multipliait les prises. De la même façon, la pellicule, support invisible d’une oeuvre qui cherchait à masquer ses ficelles, est ici mise en scène - le métal tranchant des plaques mimant la légèreté et la transparence du ruban filmique.
Renversement, dévoiement, ironie. Passer de mouvements fixés sur la pellicule à des gravures animées. Exposer des plaques au lieu de tirages. Transformer les personnages surdéterminés de West Side Story - eux-mêmes issus de Roméo & Juliette - en ces duettistes/duellistes masqués… Comme pour parodier une certaine grandiloquence du cinéma U.S et le discours techniciste - quelque peu charlatanesque - autour de la gravure?
Mais d’autres choses se jouent aussi dans l’ambiguïté de ce pas de deux, mix de danse et de duel. Exaltation de la violence, balancement entre élégance et ridicule - grotesque. Importance telle accordée aux instruments tranchants, que les lames deviennent maîtresses du jeu. Acide si corrosif qu’il finit par transpercer la plaque. Eclat métallique de ce long serpent de zinc sortant de l’obscurité. Ni premier ni second degré donc, mais un entre-deux qui nous laisse comme face à ces films où des insectes géants viennent semer la terreur : mi rigolards, mi inquiets.

Tangi Belbeoc’h

Antoine Dorotte © Adagp, Paris