Anaïs
Touchot

MÀJ . 22.02.2024

Copie Carbone Critique (extrait)

Correspondance par mail entre Anaïs Touchot et Anne-Lou Vicente, critique d'art, pendant l'été 2019. Publiée à 50 exemplaires par Quinconce.

De : Anais Touchot
à : Anne-Lou Vicente
Date : 18 août 2019 12h35
Objet : Une vision de confort moderne


Match nul alors, mes connaissances ne sont guère meilleures que les tiennes puisqu’elles se sont limitées à collectionner des petites icônes de joueurs dans mon album Panini.

Album qui, au passage, se lit comme un ABC d’Hair.

À la manière des petites vignettes, il va falloir reconstituer des équipes, l’occasion de les dépareiller.
Pourquoi ne pas en faire de même des maillots ?

Les mots d’encouragement aiguisant plus ma curiosité que les chiffres, les noms et les sponsors, c’est sûrement eux qui apparaîtront sur les joueurs de quoi partager une bonne dose de courage.

Sélectionner des prétendants selon leur pointure… C’est très Cendrillon, non ?

Ce petit côté quelque peu rustique me ramène au tournoi de joute, de longs maillots flottant au vent…

Si ce n’est pas une mise à mort, c’est au moins une mise en défaut.

Cette fois-ci pas de produits dérivés, seulement le trophée. Mais tu fais bien d’en parler puisque j’imagine, entre autres, une boutique du stade de bois dans mon exposition à Quinconce.

J’ai envie de transformer l’ancien local commercial de cette galerie non commerciale en centre commercial.

Comme on dit « deux salles, deux ambiances », j’ai envie de mélanger les enseignes, les services, les rayonnages, les manèges.

De l’espace lingerie à l’espace restauration, tout en passant pourquoi pas par quelques articles funéraires, sportifs et évidemment la perle dans ce domaine, l’électroménager. J’ai des envies de créatures mécaniques, de rachat d’or passé au mixeur, de peintures qui tournent à la vitesse des hélices des ventilateurs, de confort physique et psychique passé au micro-ondes…

Peut-être que ces trois semaines passées en fourgon ont ouvert en moi un côté camping-cariste, à la recherche de sécurité matérielle.

Un espace de bonheur collectif bien qu’au bord de la faillite. Mes sculptures avec leurs aspects bricolés, improvisés ne pourront que teinter le centre d’activités d’une odeur de contrefaçon,  où malgré une assurance qualité, le goût des objets est à rebours de l’énoncé, presque contre-moderne…

Heureusement que vous pourrez y être accompagné. J’imagine Pam à la lingerie, l’occasion d’ouvrir de vieux tiroirs et de sortir mes slips kangourou en porcelaine. Barbara à l’onglerie, de quoi proposer une version non performative de ma pièce Travailleur de beauté. 

Tout cela sous les parfums de la pizzeria Del Arte contemporaneo.

Je te laisse avec ces quelques idées, je rentre demain à l’atelier de quoi mesurer si tout cela est réalisable.

Bien à toi,
Anaïs

P.-S. : souvenirs de vacances griffonnés en noir et blanc.   


De: Anne-Lou Vicente à: Anais Touchot

Date: 21 août 2019 15h57
Objet: Une vision de confort moderne

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se mélange…

Me flottent dans la tête des odeurs de panini sous vide, de vernis à faux ongles et de ballon d’or déliquescent. Un vrai carnaval du fake puissance maximale.

De manière totalement hasardeuse, je suis tombée hier sur un livre consacré aux multiples réalisés par Claes Oldenburg entre 1964 et 1990. Dans le texte qu’il contient, Thomas Lawson évoque l’installation-boutique The Store, logée sur la Second Street, dans le Lower East Side à New York, pendant environ une année à partir de Noël 1961. L’artiste pop y « vendait des objets fabriqués à l’image des choses les plus ordinaires de la culture américaine — vêtements, chaussures de gymnastique, pneus de voitures, hamburgers, parts de tarte. Ces produits, décrit l’auteur, faits avec de la toile imbibée de plâtre et peints à l’émail Duco déposé par dripping et dégoulinement à la manière pollockienne homologuée, étaient vendus comme des objets.
Le magasin remplaçait la galerie, le hamburger l’abstraction, l’artiste le marchand. […] Ainsi, The Store copiait son environnement, métamorphosant la réalité des rues sordides en un théâtre aux représentations joyeuses, dans lequel l’exposition résolument familière de répliques, fabriquées à la main, d’objets produits en série faisait naître une lueur d’espoir ».

On imagine bien la charge ironique de l’entreprise d’Oldenburg qui s’emploie à singer grossièrement et allègrement les biens et les rituels de la société de consommation — (super)marché de l’art inclus — dans laquelle baigne alors l’Amérique, tout en convoquant le populaire, le vernaculaire, l’artisanal, le low-tech, le mauvais goût, etc.

Tu me vois venir avec mes gros sabots ?

J’ai drôlement hâte de (sa)voir ce qui figurera en têtes de gondole de ton futur centre commercial.

À bientôt,
Anne-Lou  

De: Anaïs Touchot
à: Anne-Lou Vicente
Date: 26 août 2019 01h44
Objet: C.C.C.

Chère Anne-Lou,
C’est le coeur rempli de bonheur en façade et d’émotions en cascade que je t’envoie cette suggestion de présentation :

C.C.C. :

Canapé Cuir Convertible 
Classic Car Club Comité
Contre les Chats 
Combien Ca Coûte
Centre de Création Contemporaine 
Chlorure de Calcium Comestible  
Centre Culturel Chinois
Convention Collective Comptable
Communauté de Commune Cholet 
Chaos Chaos Chaos
Courtepaille Commodité Chimique
Cadre Cascade Créatif
Certifié Copie Conforme
Café Crème Cigarillos
Client Content Certifié
Coiffure Cheveux Courts
Corpus Comédie Classique
Camping Car Compact 
Calculette Crédit Conso
Cérémonie Civile Commémorative
Chiot Chihuahua Croisé
Circulaire Changement Complet
Cerveau Connecté Conscient
Camp Célibataire Chrétien
Centre Commercial Cheap 
Communauté de Consommateurs Cachés …

Bien à toi,
Anais   

De: Anne-Lou Vicente
à: Anais Touchot
Date: 26 août 2019 09h38
Objet: C.C.C.

Tiens, ça me donne une idée pour le titre de cet entretien…

Copie Carbone Critique ?