C.C.C
A l’occasion de l’inauguration de la galerie Quinconce à Montfort-sur-meu, Céline Arnal invite Anaïs Touchot à s’emparer du lieu. Pour cet ancien magasin aux grandes vitrines en façade, face à la gare en plein bourg du village, l’artiste propose une installation originale, retransformant ce lieu en galerie commerciale. Entre fête foraine et centre commercial, l’exposition se présente dans une confusion d’objets et de slogans commerciaux, divisée en différents rayonnages : coin lingerie, pizzeria, coin funéraire ou sportif. Toujours attachée au contexte du lieu d’exposition, Anaïs Touchot avait déjà transformé des espaces de cette manière avec notamment « La Universidad Del Amor » en 2017 en Colombie pour laquelle elle avait créé un véritable club de musculation ouvert à tous et gratuit, ou plus récemment cet été lorsqu’elle a fait du centre d’art l’Aparté un centre de cure thermale. Prêtant attention à ce qui fait communauté, à ce qui rassemble, l’artiste interroge les notions de bien-être et de paradis artificiels.
Dans cette exposition, de véritables frigos, télévisions et canapés dialoguent avec des objets en bois réalisés par l’artiste. Une grande roue de la fortune nous invite à la transcendance, tandis que la pizzeria nommée « ristorante del arte contemporaneo » propose sur des plateaux des pizzas à visages humains. Entre bricolage et sculpture, les objets ne font pas semblant ; le mimétisme est flagrant tout en gardant la simplicité du geste. La valeur attribuée aux objets de seconde main, l’économie du bricolage, le détournement et de recyclage ne sont ici pas anodins. Tout est produit sur place ou récupéré aux alentours pour redonner vie au lieu. Dans cette profusion de produits et de services proposés, Anaïs Touchot n’ajoute pas d’objets au monde.
Elle mélange les enseignes et les services. Le spectateur – ou consommateur – divague dans cet espace trouble et en ruine où tout semble contrefait. Emerge alors un mode de vie dans lequel les objets et services sont consommés et jetés, une pulsion consommatrice transformant les possédant en possédés. Mais dans cet espace abandonné, les objets sont mis au rebus. Cette dépendance de l’homme à l’égard de la matière, ce culte de la profusion arrivé à son paroxysme, paraît toucher à sa fin.
Les formules publicitaires sont omniprésentes, révélant avec force la manière dont les individus ne sont plus seulement motivés par la satisfaction de leurs besoins, mais par une quête identitaire. « Décidez qui vous voulez être », « un jour ou l’autre, ça vous rattrape » : ces slogans écrits à la main par l’artiste n’ont pas pour but de vendre un produit, mais une manière d’être au monde. Le bien-être est devenu un moteur de la consommation. Dans la bande-son de l’exposition « RELAX » réalisée avec l’artiste Vincent Malassis, une musique électronique est ponctuée de différents slogans scandés d’une voix suave par Anaïs Touchot. Elle emprunte ici tous les codes de la rhétorique publicitaire pour générer un désir. Certains inventés par l’artiste – « Nous vous aurons à l’usure », « nous déclarons ouverte l’expérience », « rendre votre vie un peu plus glamour », « posez votre cerveau, tout va bien » – font écho à de véritables slogans : « Et dieu créa la fiat panda ». Cette rhétorique publicitaire révèle la manière dont les publicités ont cessé de vendre un produit pour vendre une image, pour offrir l’accès à un sentiment de plénitude et de bien-être. Plus que des annonces, elles fonctionnent comme des injonctions. A la fin de la bande-son, des indices sont dévoilés à propos du mystérieux titre d’exposition : « Canapé Cuir Convertible », « Combien Ça Coûte », « Centre de Création contemporaine », « Communauté de Consommateurs Cachés » …
Anaïs Touchot nous emmène dans un centre commercial où tout est faux et semblable à la fois, dans lequel les objets semblent avoir toujours été là. Nous n’avons toutefois pas un sentiment d’oppression dans cette exposition qui dévoile au contraire la déchéance d’un système, à l’aune d’un nouveau mode de vie, au moment où de nombreuses personnes font le choix de consommer moins ou autrement, de reprendre leur liberté face aux objets. Au contraire, émane une impression de liberté et de joie face à cette flagrante absurdité.