Vincent Victor
Jouffe

29.11.2018
Denys Zacharopoulos, 1996.

L’état de siège dont témoignent ces images par cette même part d’invisible et de silence que Vincent Victor Jouffe cultive de façon volontaire, forme le lieu menaçant où l’expérience intime et sa restitution échappent à toute complaisance, à tout intimisme, à toute introspection. Le lieu de l’œuvre devient ce qui du lieu résiste à toute consommation, à toute livraison, à tout aveu. Chaque image est un lieu qui fait partie du seul lieu où toute image cesse d’être imagerie, information, document, reflet, miroir, narcissisme. Chaque photographie adhère à cette part de silence, à cette part d’ombre et d’insignifiance qui mettent en place un véritable réseau de résistance comme en temps de guerre, comme si le lieu même de l’expérience tant intime que publique, se trouvait déjà occupé, sous occupation. L’œuvre est en fait la désaffection du lieu occupé par l’idéologie, par le goût, par la désinformation, par la mémoire trafiquée, par l’histoire toute faite.
Ces quelques images ne sont que signes de ralliement dans l’espoir d’une faille à la surface policée de l’image, sur la surface entretenue du désespoir d’une génération qui n’a plus rien à connaître, qui ne fait que reconnaître les images.
Ces moments photographiques forment des densités qui émanent de l’expérience intransmissible du monde, vécue, voire consumée, mais non pas consommée. Densités d’espaces/temps à la façon des grandes constructions mentales ou des formations physiques. Aussi proches de l’insaisissable moment du reportage à vif que du moment fondateur des grandes fictions littéraires, les photographies de Vincent Victor Jouffe se heurtent à un temps perdu pour toute narration au premier degré, pour tout signe reconnaissable au premier abord. Elles demandent du temps et prennent le temps.
Le choix du Polaroïd, par sa matière, sa nature et son processus ne pouvait être mieux approprié pour ce qui glisse entre les mains, pour ce qui se liquéfie et se solidifie à répétition devant nous, pour ce qui, apparaissant, continue à disparaître et vice versa.
Le lieu de leur apparition est aussi le lieu réel de leur conception. Il est espace construit/déconstruit par le temps et dans le temps. Lieu de vie au sens concret du terme - la localité et la demeure de l’artiste - et lieu de grande fiction au sens abstrait - l’origine et le projet de l’œuvre - ,vue et point de vue adhérant et résistant sur cette surface/pellicule et en sa faille qui est lieu même.

Denys Zacharopoulos, 1996.
(A propos des images montrées à la biennale des moins 30, C.N.P, centre national de la photographie)