Nicolas
Desverronnières

NEW . 15.10.2025

Balnéotopies

Entretien entre Vanina Andréani, responsable du Pôle Exposition-Collection du Frac des Pays de la Loire et Nicolas Desverronnières à l’occasion de la résidence au Pays de Monts.
2025

Dans le cadre d’une résidence de territoire initiée par la Communauté de Communes Océan-Marais-de-Monts, en partenariat avec le Frac des Pays de la Loire, l’artiste Nicolas Desverronnières présente le résultat de son travail de recherches et de création mais également les travaux réalisés dans le cadre d’un CLEA (Contrat Local d’ÉducationArtistique) avec 7 classes du territoire. L’ensemble est exposé dans le site de BIOTOPIA, centre de découverte et de sensibilisation à la biodiversité du littoral et de la forêt, qui célèbre ses dix ans.

Nicolas Desverronnières s’intéresse aux interactions entre les activités humaines et leur environnement. En explorant la notion de paysage à travers les actions qui le façonnent, il crée des installations où se rencontrent des formes issues de l’architecture, de la botanique et de la cartographie, révélant ainsi la dimension fictive d’un milieu. Ses recherches actuelles se concentrent sur les espaces construits par le vivant, qu’il soit humain ou non. Il s’intéresse à la transformation des ressources et des matières premières spécifiques à certains territoires, développant un langage plastique et graphique qui combine sculptures, maquettes, pyrogravures et dessins d’étude. En associant diverses références visuelles et matérielles de notre environnement, il met en lumière les dissonances entre l’utilisation des espaces et leur représentation.

Entretien entre Vanina Andréani, responsable du Pôle Exposition-Collection du Frac des Pays de la Loire et Nicolas Desverronnières à l’occasion de cette résidence.

V.A. : Nicolas tu as été choisi parmi plusieurs candidats pour venir travailler sur le territoire de la Communauté de Communes Océan Marais de Monts, dans le cadre d’une résidence de territoire. Tu as découvert un paysage que tu ne connaissais pas, mais que tu as observé, analysé pour produire un ensemble de sculptures qui parlent de cette géographie et de l’histoire de cette communauté de communes. Peux-tu nous expliquer comment tu as procédé ?

N.D. : J’ai souvent eu l’occasion de travailler dans un contexte de résidence, en France mais aussi au Canada, aux Etats-Unis et en Corée du Sud. Lorsque je travaille sur des territoires que je découvre, je m’intéresse à l’histoire, j’interroge les habitants, j’observe les paysages, la morphologie des sites, je glane et récupère des matériaux, etc. Pour représenter ce paysage, j’utilise ensuite tous les outils de représentation des espaces comme la cartographie, le dessin d’études, la maquette, que je vais réinvestir dans mes travaux. Cette complémentarité entre les objets, les matériaux et les images est au centre de ma démarche.

V.A. : En tant que sculpteur, les matériaux que tu utilises ont également une importance considérable. Qu’as-tu utilisé pour réaliser l’ensemble de l’installation ?

N.D. : J’ai souhaité travailler avec du pin maritime et du chêne, des essences que l’on trouve sur place. Le pin pousse dans la forêt du Pays de Monts, il a été planté au XIXe siècle pour stabiliser les dunes qui menaçaient d’ensabler les marais exploités par l’homme. Ce qui m’intéressait, c’était d’utiliser des matériaux qui proviennent du lieu, de questionner ainsi à la fois le territoire et la manière dont il est constitué. À partir de ces matériaux, j’ai produit un ensemble de bas-reliefs et de sculptures qui rassemblent des motifs liés à la nature, au paysage, et en même temps des motifs issus de l’architecture, des artefacts qui sont liés aussi à la construction sur le littoral.

V.A. : Tu rassembles donc dans ce travail ce qui est de l’ordre de l’activité des hommes et de la composition des paysages, tu montres ainsi l’intrication de ces deux réalités.

N.D. : En effet, au-delà des éléments naturels comme les algues ou les roches calcaires présentes sur la plage, j’intègre également des références au bâti et au tourisme. Il s’agit de signes que l’on retrouve sur les enseignes ou dans l’univers graphique très marqué du littoral, devenu aujourd’hui une composante à part entière du paysage. Je combine ces éléments pour créer une superposition de ces différents univers.

V.A. : Tu places tous ces pans de la réalité au même plan : le territoire apparaissant à la fois comme paysage mais aussi comme lieu d’activité, de production et de vie des hommes.

N.D. : Je considère tous ces éléments comme s’ils se présentaient simultanément, sans établir de hiérarchie ou de valeur particulière entre eux. Quand je découvre un site, j’envisage l’ensemble de ce que je vois qui apparaît alors comme un tout. Dans le Pays de Monts, ce qui est fascinant, c’est la diversité du territoire. En regardant une carte, on voit un littoral très découpé : la mer, la plage, la forêt du Pays de Monts, et derrière, des constructions et des habitations, puis le marais. Autrefois, la vie dans le marais était très active, tandis que le littoral était moins fréquenté, car on craignait la côte et les dangers potentiels venant de la mer. Au fil du temps, l’attrait pour le littoral a grandi, notamment grâce à la découverte des bienfaits de l’iode et à l’essor du tourisme balnéaire. Cela a transformé la vie et les activités des habitants. Aujourd’hui, à Saint-Jean-de-Monts, on observe un écart entre l’occupation et l’usage du littoral et ceux du marais, ce dernier conserve encore d’ailleurs un patrimoine ancien comme les bourrines. Ce contraste donne l’impression de traverser l’histoire, les époques, de mesurer comment les choses ont évoluées. Ce qui m’intéresse c’est de restituer ces réalités à travers des objets, des fragments d’architecture et des images.

V.A. : Tu as titré ton installation Balnéotopies, peux-tu nous éclairer sur ce terme ?

N.D. : Balnéotopies est un mot inventé. Je souhaitais évoquer une sorte d’utopie balnéaire,qui a vu surgir à partir des années 1950 de nouvelles cités modernes sur les franges du littoral français, avec cette volonté de créer une alliance entre le projet architectural balnéaire et le paysage naturel. C’est cette rencontre entre ces deux univers qui m’intéressait. Sur le Pays de Monts, s’ajoute en plus des éléments qui proviennent de la forêt et du marais, et l’installation restitue la traversée de ces différents paysages.

V.A. : On découvre également à BIOTOPIA le travail que tu as réalisé avec de nombreux jeunes élèves, puisque tu as conduit des ateliers dans 7 classes de la Communauté de Communes de la maternelle à l’élémentaire. Tu intitules ce projet Écotones. Peux-tu nous en parler ?

N.D. : « Écotones » est un terme utilisé principalement en écologie du paysage pour désigner des zones qui se situent entre deux milieux, par exemple entre la mer et la forêt ou entre la forêt et le marais. Dans ces interstices, ces espaces de transitions, se trouvent des zones tampons d’interaction où généralement la biodiversité ou l’activité sont assez spécifiques. Il me semblait que ce terme correspondait à ce que j’ai pu développer sur place, dans cet intervalle entre différents milieux.

V.A. : Comment as-tu procédé avec les élèves ?

N.D. : Pour commencer, j’ai mis en place un travail d’observation de la forêt du Pays de Monts. Mes premières interventions ont eu lieu en automne, nous avons observé les sols. À cette période ils sont riches et composés de différentes strates : beaucoup de feuilles et d’aiguilles de pin s’y trouvent mais également des roches et différents éléments qui sont tombés, que nous avons regardés, prélevés, puis dessinés. À partir des dessins synthétiques des élèves, j’ai réalisé des tampons encreurs avec lesquels ils sont venus composer des images. L’idée était de réinvestir le sujet par le dessin, par une forme graphique, des vues de ce sol de manière fifidèle à ce que nous avions découvert. Le système de tampons permet aux élèves de produire rapidement des dessins de grands formats sur un espace donné. En parallèle de cet atelier, j’ai mis en place un travail de sculptures en bois (de pin maritime et de chêne). Nous avons créé de petites constructions, qui évoquent plutôt l’autre pan de mes recherches, le paysage « bâti », artificialisé. Je souhaitais combiner la production graphique et plastique avec eux, et amener les élèves à expérimenter la façon dont je travaille, lorsque je me retrouve sur un territoire spécifique.

V.A. : Tu réalises souvent des ateliers en classe, auprès de jeunes publics comme ici, mais aussi d’élèves de collèges et lycées. La transmission est-elle importante pour toi ?

N.D. : Oui en effet, lors de ces rencontres,expliquer comment je travaille me semble essentiel, pour appréhender les différentes phases d’un projet : l’étude, la conception, puis la réalisation. Je propose dans ces ateliers de suivre le processus que j’utilise pour réaliser mes œuvres, dans la même dynamique, en mettant l’accent sur un point : produire une image, produire des objets c’est avant tout regarder ce qui se passe autour de nous.

V.A. : Dans ce procédé de travail, quelle place occupe le dessin ?

N.D. : J’envisage le dessin de différentes manières dans mon travail : il peut permettre une projection de certaines formes (et donc arriver en amont) ou lors des résidences le dessin peut « documenter » aussi les idées qui germent, ou permettent l’étude d’un paysage. Il intervient aussi après : récemment j’ai présenté à la Gâterie, à la Roche-sur-Yon, une série de dessins au graphite, issus de l’observation des roches en bois que j’ai fabriquées. Il s’agit de dessins analytiques qui rappellent des représentations scientifiques, à la manière de planches d’archéologie, de géologie ou de botanique.

V.A. : Tu produis souvent tes œuvres dansle cadre de résidence, as-tu un protocole spécifique pour mener ce travail ?

N.D. : J’arrive souvent dans ces lieux de résidences avec un regard neuf, sans porter de jugement sur les activités, car je n’ai pas la prétention de connaître le territoire. Mon objectif est plutôt d’analyser les choses, de comprendre comment un espace a évolué. Parfois, des événements climatiques ou la morphologie particulière d’un territoire m’intriguent et m’intéressent, déclenchant un processus de consultation de cartes, d’archives, et d’échanges avec les habitants sur la manière dont l’artisanat produit des objets et comment les ressources locales sont utilisées pour transformer ces territoires. Par exemple, lors de ma résidence au Québec en 2022, j’ai été fasciné par la dimension du paysage et les transformations qu’il peut subir. Je me suis intéressé à une méthode d’exploitation minière qui consiste à faire exploser les sommets de montagnes pour extraire le charbon. Ce procédé est encore pratiqué en Virginie-Occidentale aux États-Unis, avec des conséquences écologiques désastreuses. Au-delà de cet aspect, c’est la charge symbolique de cette pratique qui m’a interpellé. J’ai voulu reproduire une sorte de montagne, une topographie fragmentaire du lieu, sous forme de jeu modulable que l’on peut déplacer ou réorganiser selon les espaces d’exposition. J’utilise souvent la maquette dans mon travail, je la considère comme un outil d’analyse et de contrôle des espaces, permettant de visualiser un lieu sous un certain angle.

V.A. : Ta réflexion met l’accent sur la transformation et la modification des paysages. Dans la résidence que tu évoques au Québec, tu as réalisé un travail de dessin pyrogravé, sortes de très bas reliefs.

N.D. : Pour la série Terres brûlées, les dessins pyrogravés représentaient des « sols » comme des micro-territoires cartographiés. La pyrogravure est une technique consistant à brûler le bois pour faire trace. La matière se transforme en chauffant et brûlant le bois, geste à la fois destructeur mais aussi générateur de formes. Dans ma pratique artistique, l’idée d’érosion de la matière est récurrente. Mon travail s’inspire souvent des processus géologiques, où les matériaux sont érodés par le temps. J’applique un processus similaire au bois, un matériau que j’utilise depuis plusieurs années, notamment parce qu’il est facile à récupérer et à assembler. Je collecte des morceaux de bois divers que je colle et assemble pour créer des blocs de grande taille. Ensuite, je sculpte ces blocs pour révéler des formes évoquant des paysages. Ce processus devient une sorte d’érosion manuelle, où je façonne les surfaces pour créer des objets dont le statut reste ambigu : sont-ils naturels ou fabriqués ? Cette dualité m’intéresse particulièrement. En rejouant ces fragments géologiques avec les strates du bois, je trouve que l’on se situe à mi-chemin entre nature et artifice. Les courbes de niveau visibles dans les veines du bois, combinées à la superposition des couches, évoquent des échantillons géologiques. Cette interaction entre matériaux et formes naturelles est un aspect central de mon travail.

V.A. : Ton travail semble prendre en compte le vivant dans sa diversité.

N.D. : Oui, lorsque j’évoque les formes humaines, je les intègre dans un cadre plus large de formes vivantes, en mettant l’accent sur les interactions et les échanges entre divers éléments naturels. Parfois, je travaille directement avec des éléments vivants, comme la mousse végétale (je peux citer l’installation Mobile Silva #2 que j’avais présentée en 2023 à Nantes à la Galerie Sabrina Lucas). Je prélève des fragments de paysages composés de roches, de mousses et d’extraits de forêts, que je maintiens en vie pendant une exposition grâce à un dispositif technique incluant des brumisateurs et de l’eau. Ce processus, bien que simple en apparence, consiste à élever un sol forestier d’un mètre ou de 90 centimètres pour le faire vivre et le présenter sous un nouvel angle. Cette approche me permet de montrer le vivant et son évolution, contrastant avec mon travail de sculpture, qui, lui, est plus statique puisqu’il reproduit des formes de paysages ou d’espaces figés. Travailler directement avec des éléments vivants m’offre une nouvelle perspective sur les territoires. Lorsque je présente ce travail, je le dispose généralement dans un espace géométrique qui recrée une sorte de topographie en relief. Ainsi, on oscille entre le macro et le micro, avec des échanges constants entre l’immense et le minuscule, où l’un se retrouve dans l’autre. Cette dualité se retrouve également dans mon travail de pyrogravure.