Martin
Le Chevallier

14.09.2016

Ralentir les battements de paupières

Ralentir ses battements de paupières, 2011
Intervention in situ centre d’art Le Parvis à Ibos
Voix : Sylvie Bariol
Son mono, 6’ 20”

Texte de la voix diffusée près des caisses de l’hypermarché

En libre-service, le visual merchandising se substitue au vendeur. Il a pour but de conduire le chaland à effectuer des achats imprévus.

L’organisation du magasin, la largeur et la disposition des allées, l’agencement des rayons et des produits, la lumière, la musique, la couleur… tout doit contribuer à infléchir le comportement du client, à le porter vers ces décisions inopinées.

Le client est dextrogyre. Son regard se porte donc d’abord vers la droite. Et c’est par la droite qu’il aura tendance à contourner les obstacles. Aussi le fait-on généralement pénétrer par l’extrémité droite de la ligne de caisses. Il y trouve alors à sa droite des produits dont l’achat n’est pas nécessairement prévu et qui demandent une certaine réflexion. Réflexion qui pourra faire son chemin dans son esprit tandis qu’il évoluera dans le magasin.

Tout doit être fait pour allonger ce parcours. Il est en effet essentiel qu’il passe devant un maximum de produits. Pour cela, les allées dites « de pénétration » seront les plus larges, de manière à l’inciter à se rendre au fond du magasin. Et inversement, les allées conduisant aux caisses devront être d’une largeur plus réduite.

Plus un rayon est étendu plus le temps passé à le parcourir est important et plus la probabilité d’achats d’impulsion est forte. L’immensité du magasin est donc un atout. Pour autant, elle ne doit pas être synonyme de pénibilité. Le client doit au contraire éprouver un sentiment d’abondance et de liberté.

En fin de parcours, il trouvera les liquides. Le client souhaiterait souvent que les liquides (et notamment les packs d’eau) soient placés en début de parcours, de manière à ce qu’ils prennent place dans son chariot sous les autres produits. Mais cette demande ne peut être satisfaite car il pourrait en remplir son chariot et réserver trop peu de place aux achats imprévus.
Les produits qu’il a prévu d’acheter sont appelés « produits d’appel ». Ces produits n’ont pas à être mis en évidence car il les trouvera de toute façon. Ils doivent au contraire être placés dans des zones vers lesquelles lui ou son regard ne se seraient pas rendus spontanément. Grâce à ce placement ingénieux, il sera, au gré de ses recherches, confronté à un plus grand nombre de produits qu’il n’a pas prévu d’acheter mais qui pourraient le tenter : les « produits d’impulsion ».
Lors de ses trajets, il peut adopter deux types de déplacements : le déplacement déterminé et le déplacement d’impulsion.
– Lors du déplacement déterminé, le client vise un objectif et se comporte de manière rationnelle afin d’optimiser son capital-temps.
– Lors du déplacement d’impulsion, il évolue au contraire de manière illogique, au gré de ses attirances. L’objectif est que le client adopte ce comportement irrationnel.

L’organisation des gondoles répond aux mêmes exigences stratégiques.

En tête de gondole, sont placés des produits d’impulsion. Ils sont disposés en nombre, selon les principes du mass merchandising. Inventé aux États-Unis dans les années 50, cette technique permet de compenser une faible attractivité visuelle du produit par un effet de masse tout en donnant une impression d’abondance bon marché. Impression pouvant être parfaitement illusoire.

Afin de ne pas susciter un effet de couloir, qui pourrait être oppressant pour le client, la hauteur des gondoles doit être limitée. Sur les étagères, les produits doivent être alignés avec soin. Si le vrac peut suggérer la bonne affaire et simplifier le réassort, une impression d’ordre et de netteté sera fortement appréciée par le client. Il en éprouvera une sensation de bien-être.

La disposition des produits est dictée par le mouvement des yeux du client. Ce mouvement étant horizontal, une implantation horizontale lui permet de balayer commodément du regard la gamme des produits qu’il recherche. Cependant, cette implantation ne l’incite pas à s’attarder sur les autres produits.
Aussi, afin de freiner son passage, l’implantation verticale sera privilégiée. On fera alors s’alterner les produits recherchés avec les produits d’impulsion.

Au niveau supérieur de la gondole sont placés des produits repérables de loin. Au niveau inférieur se trouvent les produits d’appel (à forte vente mais à faible marge). Et au niveau des yeux sont positionnés les produits à forte marge pour le magasin.

Le client ressentira comme vieux un magasin inchangé depuis trop longtemps. Aussi est-il d’usage de remodeler un magasin tous les trois ans. Cette modification de ses habitudes portera alors le client à regarder des produits qu’il avait jusque-là ignorés.

La musique et les ambiances sonores peuvent l’attirer vers certains pôles. Elles agissent sur son état esprit et lui donnent le sentiment que le temps est moins long. Elles ont sur lui un effet de détente, de déculpabilisation et, combinées aux annonces, de persuasion.

Le tempo musical a une incidence sur le rythme de ses déplacements. Le bon tempo ne doit pas être trop lent, car le client doit avoir le sentiment que la circulation est fluide. Mais sa vitesse ne doit pas être trop élevée car il serait moins réceptif aux offres. Un juste équilibre est donc à trouver.

L’éclairage doit être adapté selon les produits. Il sera ainsi feutré pour les vins et particulièrement blanc pour les fruits et légumes. Mais de manière générale, un niveau d’éclairage élevé augmente la rapidité de la perception visuelle.
De plus, cette intensité lumineuse combinée à la multiplication des articles produit sur le client un effet d’hypnose. On observe ainsi un ralentissement de ses battements de paupières.