Marcel
Dinahet

MÀJ . 19.09.2024

Le Quartier, Quimper

Exposition personnelle au Centre d'art contemporain Le Quartier, Quimper, 2001

Vue de l’exposition au Quartier centre d’art contemporain, Quimper, 2001

À Quimper, Marcel Dinahet construit un parcours où les pièces s’articulent les unes aux autres dans une scénographie conçue en fonction de l’architecture du Quartier : quatre salles en enfilade.

L’exposition “s’ouvre” sur un mur. Il faut le contourner pour trouver l’entrée d’un sas ou d’un container géant construit in situ pour accueillir Le ferry, une vidéo projetée au bout de ce tunnel, tournée à bord du bateau qui relie Saint-Malo à Portsmouth. La caméra accompagne l’entrée et la sortie des voitures, difficiles à distinguer dans le montage en boucle. Elles circulent par à-coups dans un fracas de tôle curieusement orchestré par le rythme régulier des moteurs du ferry. La prise de vue instable, aléatoire par moments, finit par révéler la présence du cameraman qui lui, circule à pied dans une zone à risque où les piétons n’ont pas leur place.

On quitte Le ferry pour découvrir Le Royal. Ce grand hôtel de Dinard, filmé par une caméra flottant quelque part en mer, semble un paquebot menacé par une forte houle. La vidéo a donné lieu à une série de photographies d’images arrêtées sur écran, encapsulées dans un film plastique parfaitement étanche dont les brillances soulignent la matière liquide de l’image.

Face au Royal, deux séquences en boucle tournées au Mont-Saint-Michel au moment des grandes marées apparaissent sur les écrans de moniteurs. La ligne d’horizon du Paysage frotté, balayée par une caméra, qui tourne sur elle-même à hauteur d’homme, se courbe jusqu’à dessiner un cercle parfait, loin de la terre et loin de la mer, rompu cependant par un mouvement de caméra qui s’inverse et dont l’équilibre précaire finit par affecter celui du spectateur. Ce même horizon paraît reculer inexorablement Sur la baie, malgré l’avancée d’un marcheur, invisible à l’image, qui frappe le sol mouillé d’un pas résolu.

Plus loin, en retrait, un moniteur de petite taille diffuse une vidéo faite À Chypre. Comme prisonnière d’un aquarium miniature, une usine surgit de nulle part en pleine mer bientôt engloutie par les flots pour reparaître et disparaître sans fin dans un montage en boucle. Comme d’autres, cette vidéo manifeste l’intérêt de Marcel Dinahet pour cette zone voisine du 0 des cartes marines où souvent le paysage se filme lui-même.

Laissant les mirages chypriotes on aborde les jeux de miroirs de La plage. Cette installation occupe toute une salle. Deux grands bassins d’eau redoublent des images fixes, projetées sur les murs. Ces diapositives proviennent d’une séquence tournée à Dinard. Posée au ras du sol, la caméra a cadré les pieds des baigneurs dont le reflet s’inverse sur le sable mouillé. Entretenant la confusion entre l’endroit et l’envers, l’image et son double, Marcel Dinahet semble ici mettre en scène le conseil que Cocteau donnait aux miroirs qui “feraient bien de réfléchir avant de nous renvoyer les images”.

L’exposition se clôt sur une projection grand format des Finistères, vidéo achevée en 2000 dont le Quartier avait montré les premières étapes en 1998. Entrepris en 1997, le projet consiste en un itinéraire construit au sein d’un dispositif vidéo reliant huit de ces “fins de terre” situées sur la façade atlantique de l’Europe entre le nord de l’Ecosse et le sud du Portugal. Ces extrémités, caps et pointes très éloignés des grands centres économiques et politiques de l’Europe sont des lieux à forte identité géographique et culturelle dont Marcel Dinahet cherche à saisir la spécificité. Ses parcours longent la côte, à la frontière de deux espaces, terrestre et sous-marin, filmés dans leur proximité mais aussi dans leur différence radicale. Au montage, on passe du solide au liquide sans transition, brutalement plongé sous l’eau dans un silence envahi par la respiration du plongeur, sans repères dans un univers où les verticales et les horizontales n’ont plus cours, et soudain, nous sommes sur terre, au pied d’un phare, au sommet d’une falaise. Le passage d’un Finistère à l’autre obéit à cette même écriture du montage. L’enchaînement des huit séquences dessine une carte géographique très précise, ce faisant notre capacité à identifier chacun des sites est sérieusement mise à l’épreuve.

En cette fin de parcours, Marcel Dinahet nous met dans l’image comme il nous embarquait à bord du ferry au début de l’exposition qu’il faut d’ailleurs retraverser pour sortir. De manière paradoxale et alors même que sont multipliés les points de vue inattendus, les mouvements de caméra curieux, ces œuvres produisent un effet de réalité proche du direct. Si la première impression déniait aux images de Marcel Dinahet toute fonction documentaire ou narrative, force est de constater que ces deux aspects, certes revisités, travaillent en creux toutes les installations…

Extrait de La Scène de l’image, texte de Dominique Abensour paru dans le catalogue Périples / Travelling, Quimper : Le Quartier centre d’art contemporain, 2001