Julie Bonnaud
& Fabien Leplae

11.07.2023

Plasmes

Exposition à l'Aparté, lieu d'art contemporain, Iffendic, 2018
Jonesy, 2018
fusain et pierre noire sur papier, 30,5 x 22,5
Slow Futur, 2018
fusain et pierre noire sur papier marouflé, monté sur 3 châssis, coproduit par L’aparté, 273 x 112 cm

-plasme, suffixe :

indique une matière.
Du latin plasma : chose façonnée, modulée, 
« en forme de ».

À L’aparté, Julie Bonnaud et Fabien Leplae présentent le troisième volet d’un cycle d’expositions à la suite d’Adventices et d’une étrange créature hybride, développant des savoir-faire qui œuvrent en combinant les principes de métamorphose, de contre-emploi avec ceux de biotope et d’émergence, principe selon lequel le tout est plus que la somme de ses parties. Chaque œuvre est le rouage d’une mécanique en mutation. Au même titre que le fusain, le graphite et la peinture, les intuitions, les mots et les références sont convoqués comme autant de matière à pétrir. Rendre visible des réels, depuis, vers et par le dessin.

Slow Futur est une scène nocturne, un paysage urbain qui s’étire frontalement. La scène peut évoquer un décor de bas-fond de Blade Runner, où une fine bruine constante dialogue avec le grésillement de néons obsolètes. Ou bien, elle est un moment et un lieu où tout figure un état de climax, imposé par trois triangles de béton aux surfaces usées par les suintements. Ces trois formes géométriques strictes maintenues en suspension sont sanglées et harnachées à un lugubre auvent de tôle par une matière qui semble organique, non identifiable pour autant. Tel un immense vaisseau de science-fiction surgissant en rasant le cadre, elles surplombent, transpirantes, le flux permanent d’un lieu de passage, un sas, un hall, un parvis. Leur présence s’apparente au surgissement quelque peu halluciné de spectres Kurosawaîens passés au rémouleur du vieux fond de cale du Nostromo. Le spectateur adopte le point de vue de celui qui passe, le regard faisant face à une succession de portes coulissantes dont on ne voit que le haut, le dessin s’arrêtant brusquement sur toute sa longueur, parachevant cette sensation de suspens. On ne perçoit en face que de maigres signaux lumineux bus par la nuit et interrompus par les reflets et les matités saccadées sur le verre des portes. Ils résonnent comme autant de sous-titres visuels qui cryptent encore davantage la permanence de la scène muette jonchée au dessus.
La photographie ayant servit au dessin a été prise au vol, elle a néanmoins saisi tout un lexique de formes-matières variées, assemblées de façon incongrue dans une scène banale. Tout juste extraite de son contexte, la composition contenait toute l’étrangeté que le duo cultive usuellement par le truchement du photomontage. C’est dans ce lexique, dont il a plu aux plasticiens de concevoir et d’entreprendre la transformation à la pierre noire, au graphite et au fusain, que résident en dessin les divers sens que peut revêtir l’oeuvre.

Slow Futur est une référence à l’album (du même nom) du groupe de musique électronique Zombie Zombie, dont le premier EP consiste entièrement en des reprises de bandes-originales des films de John Carpenter, réalisateur de science-fiction et d’Étrange qui compose lui même, électroniquement, ses musiques de films. Slow Futur pourrait se traduire par futur lent, ou futur lenteur, un futur à rebours. Un futur antérieur, de série B, de littérature Borgésienne ou Dickienne.
En plus d’alimenter la boucle entre ces influences croisées, le choix de cet oxymore pour titre indique la propension des artistes à manier l’entrechoque-ment de figures inconciliables ou paradoxales comme fondement de méthode, de pensée et de ressenti. En témoignent ces jeux d’assujettissements successifs et réversibles qui opèrent à diverses strates du travail : de la méthode au contre emploi, du mécanique au toucher, des outils aux sujets, des images aux mots…
À toutes ces sphères d’influences s’ajoute la musique électronique, et de fait le duo hybride ses savoir-faire de dessin en ajoutant à leurs quatre mains un cinquième bras, mécanique, qui peut reproduire du dessin exécuté à la tablette graphique. Par ce biais ils travaillent à poser les bases d’une pratique qui associerait le potentiel de l’électronique au dessin, qui devient à même d’être différé, dupliqué, bouclé, saturé ou distordu… A l’instar de musiciens qui greffent leur sensibilité et leur sens de l’acoustique à des outils électroniques, Julie et Fabien y greffent la leur également, afin d’éprouver, eux, leur sens du toucher.

Texte d’Odon Arotçarena, février 2019