Jean-Yves
Brélivet

12.10.2022

Les étoiles rient jaune

Exposition à la Galerie des Petits Carreaux, Paris, 2011

Vues de l'exposition Les étoiles rient jaune, Galerie des Petits Carreaux, Paris, 2011.
Photo : Audrey Pédron

Les étoiles rient jaune
Un tour de chauffe dans le quartier

Le quartier et ses alentours immédiats orientés affaires, avec le Sentier, les Halles ou la rue St Denis propose cependant une diversité de vestiges si l’on aime voyager sans vertige.
Dans ce secteur parisien aux noms de lieux et de rues imagés, c’est en levant la tête que l’on plonge dans l’histoire.

La rue Montorgueil ? Cette artère principale tient son nom du Mont orgueilleux, un tas d’immondices accumulés dès le 10e siècle et baptisé ainsi par dérision. Une décharge de six siècles qui vallonne le paysage, au sommet la rue Beauregard suggère le panorama. Comble d’optimisme, nous sommes sur la Butte de Bonne Nouvelle. Il faut croire que le soleil repeint le noir. Aujourd’hui encore, les besoins de la bouche forment des montagnes, voire des volcans quand elles partent en fumée.

Au cœur des halles, l’église St Eustache, avant d’être le plus grand édifice de Paris après Notre Dame, a été une modeste chapelle financée par les poissonniers du quartier. Même si elle abrite des œuvres renommées, la sculpture de Raymond Masson « Le marché aux légumes » réalisée en 1975 m’emballe. Ce haut-relief fait la part belle à la flore sur les étals. Quoi de plus normal que de saluer le monde végétal au moment où le marché détale.

Rue Etienne Marcel, l’architecte de la tour Jean sans peur exalte également la nature dans un escalier à vis remarquable. D’un pot central, s’élance un chêne où grimpe du houblon rejoint par des branches d’aubépine accrochées aux murs.
L’architecture aussi se ressource dans la verdure.

Question insolite local : une colonne astronomique bâtie par Catherine de Médicis tente d’approcher les étoiles. L’astrologue Cosme Ruggieri, prédicateur zélé, a fait toucher le ciel à sa commanditaire illuminée. Désormais, la Bourse de commerce forme un autre couple avec la tour: le rêve et l’argent en un.

Après cette balade sélective où la nature s’accroche à l’architecture, où l’on passe des ordures à la voûte céleste, n’oublions pas la rue de la Lune pour compléter le voyage.
La colonne astronomique et la rue de la Lune tapent dans le mille, elles soulignent le titre :
« Les étoiles rient jaune ».
Plus que jamais, les questions climatiques hypothèquent l’avenir. Mes œufs sont des planètes sur le chemin de l’omelette.

A propos des photos au bouclier

Dans le 2e arrondissement, l’ancien ventre de Paris, j’ai choisi trois lieux tournés vers le ciel. Car le ciel est plus que jamais victime de notre ventre.
Les boucliers « l'étoile miroir» (l’œuf), « l’étoile filante» (l’étoile de mer), et « l’étoile rampante» (la tortue) tentent de secouer l’oreiller. Qu’elles soient du ciel ou de la mer, les étoiles glissent dans la même galère.
La rue de la lune affirme le caractère planétaire de l’œuf, œuf et astre se battent en neige.
Au pied de la colonne astronomique, mon étoile hybride relève la tête avant le plongeon.
Quant à la rue Beauregard, elle ne veut plus retrouver sa vocation antérieure, trop d’ordures nourrissent la nature.
Mes boucliers désuets se dressent face à l’avenir mal luné.

Jean Yves Brélivet, Septembre 2011

Exposition Coquillages et crustacés, Musée des Beaux-Arts de Brest, 2010

La mer boit la tasse, 2010
Résine polyester, fibre de verre, bois, élément naturel et divers
Vue de l'exposition Coquillages et crustacés, Musée des Beaux-Arts de Brest, 2010

Photo : Didier Olivré © Musée des Beaux-Arts de Brest

Guerre froide, 2010
extrait de l'ensemble La mer boit la tasse
Résine polyester, fibre de verre, mécanisme de téléguidage.

Photo : Didier Olivré © Musée des Beaux-Arts de Brest

Une course contre la montre

Le cabinet de curiosité, ancêtre du musée, a toujours flatté les coquillages et les crustacés. Minéraux, crocodiles, tortues occupaient également une belle place dans ces collections. Tout être vivant d’apparence minérale, retenait l’attention.

« Partir tard mais courir vite », la philosophie du lièvre est très nuisible au climat. Ce grand malade attend des soins d’urgence. Dans un principe de vases communicants, la mer monte une gomme entre les dents. Figure emblématique de la noyade, l’ours blanc s’éclipse en fantôme. L’ours blanc et les tortues marines dérivent sur le même radeau, un radiateur dans le dos.

L’image d’une tortue déposant ses œufs sur une plage nous transporte. Pendant que leurs compagnes pondent, les mâles se rassemblent en attendant leur retour à l’eau pour renouveler les noces.
Avec un comportement apparemment décalé, la nature confirme son sens de la logique.
Les semences de tortue, très toniques, restent vivantes des mois, voire des années. Ainsi l’œuf qui vient d’être déposé, est-il fécondé par une graine mise en réserve depuis longtemps.
Mâles et femelles reviennent pour la circonstance sur la plage de leur naissance.
Ce rendez-vous annuel évite les rencontres aléatoires des mers sans fond.
Le sable, excellent incubateur, travaille dans la précision, quelques degrés de plus fait fondre la population masculine. Cette nouvelle donne gonfle un tableau déjà sombre.
Le manque de partenaires, l’exploitation aveugle des tortues, leur fâcheuse tendance à s’étouffer en confondant sacs plastiques et éponges, condamnent les générations futures : elles avaleront leurs actes de naissances.
La mer transpire, le grand bleu vire sang d’encre.

Animal ancestral, la tortue vient du fond des âges. C’est un fossile vivant.
Son corps propulsé par ses vigoureuses nageoires rappelle celles des reptiles d’antan.
Les tortues appartiennent à la grande noblesse, leurs écailles se nomment : écussons.
Comme l’on sait, les têtes auréolées tombent aux révolutions. Par réflexe, instinct et résistance ne font qu’un. Acculée, la nature tente toujours de transformer un baroud d’honneur en putsch.
La tortue télécommandée, baptisée : « guerre froide » représente toutes ses congénères, ventres à l’air, prises de vitesse par le détail qui tue.

PS « Guerre froide » cette appellation «glaçon» des années 70, retrouve aujourd’hui une certaine fraîcheur pour désigner un autre conflit larvé ou l’on se tient par la barbichette. Le conflit : écolo - fric à gogo.
J-Y.B.

La parabole des aveugles, 1992
Vue de l'exposition "L'art est un sport de combat", au musée des beaux-arts de Calais, 2011

Photo : Emmanuel Watteau

Le feu couve, 1992
Vue de l'exposition "L'art est un sport de combat", au musée des beaux-arts de Calais, 2011
(avec des œuvres de Fabrice Gygi, Roderick Buchanan, Aurélie Godard)

Photo : Emmanuel Watteau

Ils sont des nôtres (série Jours blêmes à la ferme), 2009
Vue de l'exposition "L'art est un sport de combat", au musée des beaux-arts de Calais, 2011

Photo : Emmanuel Watteau