« Un homme, en vérité, doit vivre seul sans pour autant devoir renoncer à tout espoir de communiquer avec ses semblables. » (Joseph Conrad)
La notion de série est une donnée importante. Elle permet de développer une idée, de la faire évoluer progressivement dans le temps et de voir ainsi, au fil des déclinaisons, comment une forme prend corps et se métamorphose.
Une idée s’impose à l’esprit.
Elle entraîne une chaîne de réactions d’où naît un cycle complet de figures.
Cette série de pièces fonctionne sur le principe d’éléments multiples. Ce système conduit à envisager diverses combinaisons lors de l’accrochage. Il aboutit à la mise en scène d’un cheminement de la pensée.
Un processus apparaît.
Les brosses et les pinceaux gorgés de matière servent à inscrire des pensées non-verbales.
Limiter le travail à des données restreintes. S’en tenir au juste travail de nécessité.
Promouvoir la simplicité.
Observer les mutations d’un organisme, le développement et la croissance d’une forme.
Saisir la lente transformation des corps.
Les corps ambigus.
L’ambivalence des règnes l’animal, le végétal, le minéral.
Travailler à la limite d’un territoire imagé, là où on glisse insensiblement d’un monde à un autre, d’une réalité à une autre.
Le temps du regard.
Le temps de la nuit et du rêve qui guide. Le temps de la pensée qui plonge dans le tableau.
Le temps qui s’enfonce dans sa profondeur pour être revécu. Le temps qui caresse à nouveau sa surface colorée jusqu’à l’évidence de la nécessité.
Réduction des éléments plastiques.
Évocation du volume de la figure par une simple tension entre deux surfaces de couleur.
Traiter le volume par le biais d’une unique opposition de surfaces colorées. Employer une couche picturale onctueuse pour que la surface accroche le regard.
La tension qui naît de la rencontre de deux surfaces colorées peut suffire à suggérer la profondeur en peinture.
Provoquer les formes qui se métamorphosent, constater les modifications, créer un trait, impulser une ligne, cela se fait en menant une réflexion sur l’inconscient et le flux de la pratique.
Traduire de façon iconique des éléments issus du monde naturel par des moyens picturaux. Définir les idéogrammes d’une résistance. Les signes d’une permanence. Et donc retenir des formes qui triomphent du temps.
Tracer un signe non pas pour communiquer un message mais pour baliser et constituer un territoire de vie autonome. Un signe soustrait à la mort même. Un signe plein d’évidence. Un signe total, qui retrace le destin de la vie et dessine un lieu solide et stable, où le temps humain est condensé.
Créer une forme qui soit le produit d’un rapport au monde, en privilégiant ses aspects essentiels, immémoriaux, intemporels et naturels.
La couleur est étendue pour constituer les zones obscures du volume. Ensuite sont posées les surfaces claires. Un brossé permet d’établir une transition minimum entre ces deux teintes qui déterminent la forme. Puis vient la couleur du fond.
Une part du cheminement mental se fait en dehors du contrôle de la volonté, comme si une puissance autonome indépendante de la conscience agissait. Mais arrive le moment de décider, car seul le désir permet de construire un projet.
Une forme céleste flotte sur un fond clair. Trois tons. Un rouge sombre, une ocre, un jaunâtre.
Peindre des éléments autonomes qui apparaissent dans un espace aérien frontal et plat.
Onctuosité de la matière qui retient la lumière et révèle la course du pinceau, le parcours du geste, le mouvement de l’action.
La série montre une succession d’états, certes variables, mais dont la nature est définissable.
Silencieuse, fragile, solide, détachée, solitaire, indépendante.
Les signes de la nature.
La vibration d’une atmosphère sans âge.
Développer un ensemble selon un processus qui génère une activité évolutive et qui témoigne d’une existence.
La nécessité intérieure, le désir de concrétiser une vision, la perspective de bâtir quelque chose de nouveau et d’en jouir. La volonté de vivre ses propres expériences et le souhait de créer une œuvre.
Rechercher un langage spécifique.
Manifester la part de singularité que l’on possède.
Affirmer une conviction.
Au-delà de la planéité de la surface, l’ensemble doit suggérer une profondeur qui est celle de la vie.
Les formes trouvent leur origine dans les domaines de la nature et de la culture.
Évocation végétale ou silhouette stylisée, bulle aquatique ou souvenir archéologique, les figures empruntent à la réalité. Elles se définissent comme des icônes emblématiques rêvant d’être objets de connaissance féconde.
Jean-Paul Thaéron, 2010