Francis
Raynaud

08.12.2020

La charogne de Montrouge

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La charogne de Montrouge, 2019
Vues de l’installation au salon de Montrouge
Photo : Thomas Merret

Charogne, Crachoirs, Histoire de fluides,… les titres de Francis Raynaud renvoient à une esthétique de l’informe, celle des matériaux déclassés et rabaissés, des restes qui excèdent les taxinomies et les opérations de la pensée logique. Une esthétique de l’informe qui est aussi celle du devenir, comme production de formes inachevées et indéterminées, ouvertes au métamorphisme. Et pour cause : notamment composées de beurre, de vin, de sucre et d’objets de récupération, les sculptures de l’artiste constituent des alliages en perpétuel mouvement, voués à s’altérer et à changer d’aspect au fil du temps. Agissent ici des phénomènes d’interaction entre l’air, les substances ductiles et liquides, infiltrés par des références littéraires, des faits réels et mythologiques, selon un principe de capillarité au cœur du processus de création de Francis Raynaud.

C’est par exemple le cas d’Une charogne (2017), un mélange de vin rouge, de plâtre et de bactéries évoquant un étrange rocher érodé et parsemé de moisissures. Une pièce qui entre en écho chez l’artiste avec une phrase de Flaubert - « C’était comme une odeur de cuisine nauséabonde qui s’échappe par un soupirail.1 » - ou encore avec le poème éponyme de Baudelaire2 , s’inscrivant ainsi dans un réseau de correspondances et devenant par la même occasion une amorce possible de narrations. Modélisations 3D de la Vénus de Willendorf, étirées au point de n’être plus que de fines lignes noires, Les Vénus noires (2016) participent de cette malléabilité des objets et des référents culturels. Elles se présentent comme les ombres portées de la sculpture préhistorique, tel un « reste qui ouvre une brèche dans l’univers clos de la représentation3 ».

Sarah Ihler-Meyer Texte paru dans le catalogue du Salon de Montrouge 2019

Francis Raynaud © Adagp, Paris, 2022

  1. Gustave Flaubert, « À Maxime du Camp », 7 avril 1846, Correspondance, édition établie par Jean Bruneau, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1979, I, p. 261 
  2. Charles Baudelaire, « Une Charogne », Les Fleurs du mal, 25 juin 1857.
  3. Suzanne Lafont, « Le Reste », Le Reste, Presses universitaires de la Méditerranée, Montpellier, 2006, p. 28.