Coma Coloris Vif
Coma Coloris Vif, 2018
Maison Salvan, Labège
Commissaire : Paul de Sorbier
Photos : Yohann Gozard
Exposition du 11 mars au 14 avril 2018
Avec une présence sonore de Julien Perez, une mise en lumière de Serge Damon, une intervention expérimentale de Mobilier Peint.
Joséphine Coloris Flora
Un vaste mouvement vient traverser la Maison Salvan. Des pans entiers de son architecture, précisément choisis, reçoivent un geste pictural intense. Son atmosphère est imprégnée d’une chanson qui, toutes les huit minutes, vient rythmer le temps de l’exposition. La lumière est retravaillée selon la configuration des ouvertures naturelles du bâti. Des objets sont disposés et se montrent aussi étranges et inattendus que directement liés au lieu et à son histoire.
« Privilège » d’une résidence, bien avant d’entamer la période de mise en œuvre du travail, Flora Moscovici a pu découvrir la Maison Salvan. Elle l’arpenta à différentes saisons et dans des contextes distincts : vide ou travaillée par une exposition. Elle saisit vite que le lieu était naturellement baigné de son histoire et porta aussi attention à des photographies précédant l’ouverture du centre d’art. Sur celles-ci, elle releva certaines teintes des tapisseries de Joséphine Salvan (la dernière habitante de la maison), certaines couleurs des matériaux, certains motifs, certains objets présents dans le lieu. Au final, toute cette matière identifiée constitua une forme de répertoire indicielle, lui permettant librement de déployer une proposition dans la Maison Salvan. À celle-ci, Julien Perez apporta une contribution sonore, Mobilier Peint produisit un travail pictural sur l’objet et Serge Damon créa son éclairage.
Ainsi, la couleur, qui est la manifestation même du travail de Flora Moscovici, est dans cette exposition directement dictée par le lieu. Ce fut déjà parfois le cas, de certains projets préalablement menés, mais c’est peut-être la première fois qu’elle remobilise des couleurs du passé, disparues, pour les manifester dans le présent. Par-là, l’exposition se révèle ainsi nostalgique mais certainement joyeuse tant les tonalités sont vives. Cet écart est très précisément souligné par les mots du titre de l’exposition, en forme d’oxymore, « Coma Coloris Vif ». Ils évoquent la couleur comprise dans un intervalle : entre un état de dormance, quelque chose qui n’est pas ou plus, et la force de l’instant, qui réunit l’artiste, son œuvre et les visiteurs. Ce titre se révèle être également une anagramme composée à partir des lettres du nom et du prénom de l’artiste, ce qui souligne peut-être que cette exposition est effectivement une réalité fanée, transmuée en une autre dans le présent …
Flora Moscovici installe, par la peinture, des expériences immersives. Elle invite à une exploration pour pouvoir saisir les nuances camouflées dans l’apparent systématisme de l’oeuvre et de son geste qui utilise, ici, exclusivement la brosse. Alors « Coma Coloris Vif » manifeste les paradoxes du travail de l’artiste. Certes, il se reçoit comme abstrait mais, par sa capacité « à dire de l’espace », il est peut-être aussi très narratif, tout au moins concret. Le visiteur jouit de la pure expérience, quasi sacrale et silencieuse, qui consiste à pénétrer un « temple » de peinture associé à une gestuelle propre (la main de l’artiste est étonnement présente dans la rythmique des surfaces travaillées). Mais, le même visiteur peut, tout autant, activement rechercher les occurrences très concrètes entre les natures de matériaux du lieu et les couleurs utilisées par l’artiste. Il peut aussi imaginer ce que racontent de l’architecture les choix de surfaces peintes. Il peut se laisser guider par les paroles de la chanson de Perez. Il peut, enfin, mettre en perspective, avec un espace domestique, les objets disposés çà et là.
Bref, l’oeuvre est un télescopage de sacré et de profane. Ce faisant, elle véhicule beaucoup de « moments » de l’histoire de la peinture : l’expressionnisme abstrait, à l’évidence, tout autant que le Graffiti et, bien plus largement, l’art immémorial de la fresque. Au fond, la façon dont Flora use de la pratique picturale contient l’idée de temps par sa capacité à généreusement convier l’histoire de la peinture. Il est très beau que cette «peinture du temps long », et d’une certaine « noblesse » du médium, vienne parler du temps parfaitement délimité, finalement relativement court, d’un espace populaire, une ancienne ferme de village. Ici, il faut insister sur l’intervention de Mobilier Peint qui, au sein de « l’atmosphérique » envisagé par Flora Moscovici, apporte davantage l’idée de décorum. Cet apport renvoie à une peinture du non geste, de la pleine liberté, de la spontanéité. Son enjeu se situe dans le performatif et le faire, à partir de contraintes fixées au préalable : ici, les objets sont réalisés à partir de la récupération de matériaux issus d’une cimaise démontée et de couleurs achetées par un tiers. Cette proposition de Mobilier Peint, qui se dit expérimentale, vient particulièrement souligner le présent, le temps du « vif ». Elle fabrique, elle-aussi, un écart dynamique avec le travail « solo » de Flora Moscovici. Les deux se toisent ? S’amadouent ? Tout au moins se regardent.
Alors voilà, le visiteur entre dans le lieu, s’enfonce dans la peinture et dans un environnement total : un « spectacle pictural » et sonore dont la trame narrative est l’espace lui-même. S’il se retourne, avant d’atteindre l’avant dernière salle, la proposition se défait, le hors champ rejaillit. Le blanc des murs apparait, c’est-à-dire le centre d’art lui-même, c’est-à-dire un parfait hiatus pour une situation d’exposition…
Flora Moscovici, Coma Coloris Vif, exposition à la Maison Salvan, 2018.
Feuille de salle écrite par Paul de Sorbier.
Flyer de l’exposition.