Daniel
Challe

04.05.2017

ANATOMIE D'UNE RIVIÈRE, en longeant la Claie

L'odeur des paysages, la photographie à la chambre

A l’origine de la photographie les appareils étaient lourds, encombrants, et les premiers explorateurs partaient en mission avec ânes et assistants. Le photographe comme l’himalayiste avait besoin de ses sherpas. Il faut donc revenir à un temps, une époque où le goût du monde qui poussait certains photographes à déserter les studios, était avant tout le désir d’aller user leurs semelles dans la nature. Marcher : tel était le secret. La photographie était encore à cette époque une pratique athlétique qui nécessitait de poser le pied dans un lieu, d’installer la chambre photographique et d’observer à distance, en miniature, sur le dépoli, la lumière du paysage.

Près de deux siècles après son invention par Nicéphore Niepce, la photographie s’est engagée dans une boulimie de vitesse. Le rituel numérique fige l’image, aussitôt prise, sur l’écran (écran : ce qui nous sépare) et peut même la transmettre instantanément au monde entier par les ondes dites Wifi : tristesse d’une image consommée aussi vite que réalisée.

Le temps des paysages n’est pas ce temps là. C’est celui de la météorologie, de la géographie et des cartes, de l’arpenteur, du vent, de la poussière, de la boue et de la pluie. Le temps du paysage est le temps du corps antique, physique. Le dépoli est la métaphore de cette lenteur. Ni viseur, ni écran, mais dessin de lumière, déposé en surface, sous le voile où l’image se forme à l’envers. Voir le ciel en bas et la terre en haut c’est renverser, déconstruire la métaphysique : le spirituel s’enracine dans la boue et les nuages n’échappent pas aux lois de la gravitation.

Je travaille avec une ancienne chambre photographique construite en bois. Il me plaît de penser que cette caméra vient de l’arbre. Mon père était menuisier ébéniste, la maison de mes grands-parents se situait à l’orée d’une forêt. La forêt évoque pour moi l’enfance dans les Alpes, la solitude dans les bois, la quête des truites et des écrevisses dans les rivières et les ruisseaux. Je suis un photographe de campagne, lent, besogneux, obstiné qui nourrit une passion fixe : celle des longs jours où la lumière donne matière au monde.

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