L'Héritier
L’Héritier est l’histoire d’une métamorphose. La transformation d’un homme en créature équine.
Oscillant entre réalité, rêve, cauchemar et folie. Il se trouve à la frontière près à basculer.
Cet homme, c’est moi.
Extrait de Métamorphoses équines, Damien Rouxel
(…) Sur les pourtours du manège, des images sont fixées au mur. Pour certaines, à l’aide de clous de maréchalerie. Des apparitions. Des rêveries équines où des corps se transforment et traversent l’iconographie liée à l’animal.
Des licornes de trait aux corps massifs. Deux inspirations opposées : la licorne et le cheval de trait au travail. Deux réalités. La rencontre d’un être céleste avec une créature de la terre. Une pureté souillée. La jeune fille/dame et le paysan originels sont remplacés par la mère. Comme dans la cour de récréation, l’animal est tenu par une corde. Rôle campé par le père et le fils, les cornes ensanglantées par le labeur.
Deux centaures s’enlacent devant l’immensité de la mer. Un écho au monument aux morts vu à Saumur où deux centaures, un gaulois et un poilu, tiennent une couronne de fleurs. Deux arrières trains en bois sur roulettes pour la transformation mythologique. Sur chaque croupe, un cutie mark de petits poneys reprenant les armoiries de l’école de cavalerie et de la maison BouvetLadubay. Face à la mer, deux hommes EQUI (égaux) s’enlacent.
Dans l’intimité d’un salon, un chevalier tue un dragon effrayant tout un village. Dans la rêverie du jeu, un enfant vêtu d’une cape et de sa bombe, sur le dos de son destrier fraternel, armé de sa lance, terrasse sa peluche dragon.
Dans la forge, vêtu d’une cape rouge ornementée de motifs en ficelle agricole bleue, « Éloi maître sur maître, maître sur tous » pose pour un portrait royal. Cette couverture d’écurie détournée, arbore les symboles de la maréchalerie. Enclume, clou, fer et outils deviennent les fleurs de lys de la royauté. En souvenir de cette patte coupée, la botte du cavalier est pied de cheval. Tenant un sceptre surmonté d’un carrousel et paradant avec une couronne autour du cou comme les licornes enluminées, Eloi est fier. Il est fier car sans lui « pas de pied, pas de cheval ».
Héritier de la chevalerie, l’Escrimeur se vêt de sa chemise de combat anti-mouche pour son portrait officiel. Posant fièrement la cravache à la main et son casque sous le bras, il est prêt.
Le cheval est un symbole du passage. Créature de passage, elle tire le char de la lune et du soleil. Elle est aussi le passeur psychopompe qui, sur sa barque, flotte sur le Styx. Ce cavalier à double tête qui comme Janus observe les deux voies aux intersections, porte son costume fleuri de célébration.
Même si tout est costume et représentation, le voltigeur est probablement le plus lié au monde du spectacle. Mouvements chorégraphiés, costumes, musiques, plumes, paillettes, pirouettes et virevoltes… Comme à l’entraînement sur son faux cheval, il porte son plus beau masque aux couleurs d’Arlequin.
Une Vénus équine émerge de l’eau. Dans le Thouet, affluent de la Loire, vit un kelpie. Une sirène aux mains-sabots portant un bustier-selle à la Mugler. Issu du folklore irlandais et écossais, le kelpie, métamorphe aux caractéristiques chevalines, aquatiques et humanoïdes vit dans les rivières. Il est réputé dangereux par son habitude à séduire les humains pour les noyer ou les dévorer.
Le cheval ailé est par essence l’image de la liberté. Dans son manège circulaire, les ailes démesurées, la bête de concours est clouée au sol. Le cavalier ne s’élèvera pas. Les mains campées sur ses prothèses. La tête emportée par le poids de sa cagoule. Pégase regarde l’horizon et n’a que pour seul avenir : marcher en cadence.
Au loin dans la plaine surgissent quatre cavaliers. Voici les Cavalier.e.s de l’Apocalypse, de grands enfants qui jouent à la guerre. Coiffés de bombes et chapeaux de cow-boy fantaisistes, tenant leurs montures colorées, ils sont prêts à en découdre. Loin de la gravité induite par l’écrit biblique, dans une légèreté enfantine, les codes iconographiques sont là. Un cheval bleu pour la conquête. Un second, rouge pour la guerre. Un noir pour la famine et le dernier, vert pour la mort. La générale porte son bicorne et le porte-étendard est la fierté du régiment. Inspirés par ma visite du musée de la Cavalerie, ces enfants et leurs montures aux couleurs du plateau de jeu sont prêts à lancer la partie.
Une sombre et étrange silhouette traverse les prés et scrute l’horizon de la prairie désertée. Le marcheur tient à la main son bâton aux douze visages. Ces masques zodiacaux, évocation du temps passé, des visages capturés et des âmes trépassées. Le cheval est généralement la monture de la mort et du diable. Le bourreau cagoulé, l’Ankou, la Mort sont libres.
(…)
Extrait de Métamorphoses équines, Damien Rouxel
Dans le cadre de la résidence Artcheval porté par le Comité équestre de Saumur, la maison Bouvet-Ladubay et l’Abbaye de Fontevraud.
Damien Rouxel © Adagp, Paris