Damien
Marchal

10.07.2023

LE SON A L'ŒUVRE

Magali Lesauvage

Dans les installations de Damien Marchal, le son est une déflagration : un évènement volontaire, créateur et destructeur qui fait exploser les systèmes relationnels pour mieux les entendre.

Damien Marchal est artiste sonore : utilisant des dispositifs techniques complexes, il fait du son un événement qui vient perturber l’environnement et signifier un «passage à l’acte». Décryptage.

Rompre avec les certitudes, remettre en cause la validité du réel, instaurer un présent nouveau, un futur inconnu : il y a dans ce que l’on nomme en psychologie le « passage à l’acte » une notion de franchissement violent, d’impossible retour en arrière. C’est aussi un mode de rupture brutal du processus relationnel, où l’action remplace la parole, une façon autoritaire de signifier sa présence au monde et d’entrer en relation avec l’autre. Cela pourrait être encore une métaphore du geste créateur, où le faire prend la place de l’énoncé.

« Appetite for destruction »

Dans le travail de Damien Marchal, cette notion de passage à l’acte prend un double sens. Depuis quelques années, l’artiste rennais s’intéresse notamment au terrorisme et aux changements d’état qui bouleversent la relation aux autres. Fasciné par le moment de la destruction, l’instant T (plus que le chaos lui-même), il met en place des stratégies dans lesquelles l’action (au sens de performance comme forme artistique) importe plus que le résultat final. Créant pour mieux détruire, Damien Marchal fait preuve dans certaines œuvres d’une attitude que l’on pourrait définir rapidement comme post-punk. Un « appetite for destruction » qui prend pour médium le son, et comme esthétique les agencements technologiques nécessaires.

Ainsi la performance Die Verbrennung der Walküren (La Combustion des Walkyries) (2011) est-elle la transcription moderniste du mythe de Pénélope: à l’aide de mèches de dynamite, l’artiste tisse sur un canevas le titre de l’œuvre, avant de l’embraser. Son postulat : « Huit heures de travail sans autre intérêt que de choisir ce que représente cette journée. Sans s’arrêter, avoir le contrôle de la fonction, le choix de la finalité, travailler pour soi.» En filigrane, on peut déceler dans ce choix délibéré de la destruction une critique inconsciente du marché de l’art, associé à la valeur travail : l’artiste reste le maître de son œuvre, et fait le choix de « capitaliser », ou non, sur sa création. Une volonté de puissance qui s’incarne dans des projets divers.

Le son comme événement

Garbage Truck Bomb (ou Le Bombardier du pauvre) est une œuvre emblématique de la démarche de Damien Marchal. Exposé au centre d’art contemporain La Criée lors de la Biennale de Rennes 2010, ce dispositif complexe prend place à l’intérieur d’un squelette de camion-poubelle réalisé en bois à l’échelle 1. À l’intérieur, de fausses bombonnes de gaz et un détonateur GSM cellulaire relié à l’autoradio, qui déclenche une violente déflagration sonore. Celle-ci peut être activée par le spectateur, via SMS, quand bon lui semble. L’action reproduit ainsi la violence aveugle de l’acte terroriste. L’artiste délègue ici la responsabilité de l’accident dont il est l’auteur. Dans Garbage Truck Bomb, le camion n’est qu’un support visuel qui permet de mieux se concentrer sur le son, réel mode de perturbation de l’environnement.

Une violence poussée à l’extrême dans _Waiting for the Pigs (2010), sculpture sonore évoquant à la fois la torture subie par les détenus de Guantanamo, auxquels la CIA imposait d’écouter en continu de la musique à un volume très élevé, et les assassinats perpétrés dans les années 1960 par Charles Manson et sa bande.

Adepte du storytelling, Damien Marchal prend la position de celui qui domine une situation de tension, de surprise. D’où un rapport à la performance, à l’ici et maintenant de l’œuvre : Hymnus In Ioannem & Western Digital est un « duo électronique/organique », dans lequel les voix de 35 choristes répartis dans le public répondent aux vibrations sonores générées par 10 disques durs, formant un drone uniforme dont il est impossible de discerner le son humain de celui de la machine. Préférant dissimuler la complexité technique qu’impliquent certaines de ses pièces, l’artiste fait souvent appel à des collaborateurs & un goût pour le travail en commun que l’on peut rapprocher de sa pratique inscrite au sein de l’atelier Vivarium, à Rennes, où idées et procédés se mêlent. Une manière d’impliquer le processus de création dans le monde, pour mieux en dynamiter les évidences.

Texte paru sur le site de la Gaîté Lyrique, en partenariat avec Exponaute