Révélations Emerige 2022
Le terme de “curateur” prend racine du latin “curare”, qui signifie “prendre soin”. Dans une exposition, un curateur est le metteur en scène des œuvres, des artistes et des idées, dont il sait prendre soin. Dans un registre totalement différent, la curare est un alcaloïde très puissant extrait de certaines plantes grimpantes de la forêt amazonienne, une substance capable de dérégler les mécanismes du corps humain.
La polysémie du mot “curare” est essentielle pour appréhender les recherches de l’artiste Clémence Estève; une plasticienne qui dérègle, prend soin et met en scène tout un corpus de reproductions d’œuvre d’art. Depuis des années, cette artiste iconographe a constitué patiemment un florilège d’images issues des collections des plus grands musées occidentaux. Sur son disque dur, à l’abri des regards, elle est la conservatrice et la gardienne d’une collection dont elle est la seule visiteuse, mais dont elle laisse parfois s’évader l’un ou l’autre item.
Si le philosophe français Gaston Bachelard affirmait sans détour que “l’esprit scientifique se constitue sur un ensemble d’erreurs rectifiées ”, nul ne doute que la science des musées et des collections est actuellement en train d’opérer un ensemble de corrections majeures, notamment au regard de siècles d’invisibilisation des minorités. Si la démarche de l’artiste ne se situe pas précisément sur ce terrain-là, elle constitue toutefois une réflexion parallèle et essentielle sur la construction du regard, la constitution de collections, et les corrections de l’histoire par rapport à elle-même. Avec humour, elle se saisit de ces nombreuses incohérences qui méritent d’être rectifiées.
Quiconque aura déjà été saisi par la même fièvre compulsive que Clémence Estève lorsqu’elle scrolle à l’infini les catalogues numériques des musées aura sans doute remarqué que les photographies qui les composent répondent à un protocole très normé: une lumière froide et écrasante annulant toute ombre ou artifice, les œuvres installées sur un fond terne. Une apparente neutralité que détourne la plasticienne grâce à sa pratique du dessin. De manière régulière, elle développe un répertoire de formes libres et organiques, dans une sorte d’automatisme libératoire, ludique et cathartique.
Ces deux pratiques, la collecte curative et le dessin roboratif, se complètent lorsque Clémence Estève réalise ses œuvres, généralement constituée en ensembles qui se déploient dans l’espace. Les esquisses s’échappent des reproductions d’œuvres d’art, envahissent les murs blancs et prennent forme en trois dimensions, comme autant de persistances rétiniennes. Un doigt fier qui se libère de la carapace formée par un poing fermé, une main amicale qui se promène sur une épaule humaine, des pieds capricieux qui soutiennent des images d’un autre temps