Charlotte
Vitaioli

MÀJ . 17.10.2024

Dove sono le spiagge della tua felicità ?

2021

Peinture sur textile morcelée en costumes, nappe, rideaux.
Film en 16 mm de 5m30, image Charles-Hubert Morin, musique et bruitage de Thomas Delahaye.
Titre en français : Où sont les plages de ton bonheur ?

Les céramiques présentent dans le film et l’installation ont été réalisé par Coralie Mézières sur les propositions de : Virginie Barré, Hippolyte Hentgen, Justin Sanchez, Joachim Monvoisin, Jean Bonichon,Tom Giampieri, Simon Berard, Marcos Uriondo, Leticia Martínez Pérez, Romuald Jandolo, Henni Alftan, Marie L’Hours, Thierry Lagalla et Anthony Plasse.

Produit par le Centre d’arts contemporains du 3 bisf, Aix-en-Provence
Photo : Jean-Christophe Lett

Dove sono le spiagge della tua félicità, 2021
Film en 16 mm de 5m30, image Charles-Hubert Morin, musique et bruitage de Thomas Delahaye

Vues de l'exposition, 3bisf Centre d'arts contemporains, 2021
Photos : Jean-Christophe Lett

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Détails des œuvres

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Story Board

Photo du tournage

Entretien entre Charlotte Vitaioli et Diane Pigeau, directrice artistique du centre d’art 3 bis f

DIANE : Lors de notre première rencontre en 2018, j’ouvrais la programmation du centre d’art du 3 bis f sur un axe de réflexions autour du vivant, à la fois en lien avec les courants de pensées et pratiques artistiques actuels, et tourné vers la double activité en arts vivants et en arts visuels du 3 bis f. Dans ta peinture, tu ne t’affranchis pas seulement du cadre et du châssis, tu tends vers une œuvre d’art total, dans la lignée des premières avant-gardes. Tu insuffles dans tes créations un plein élan de vie. Quelles sont les sources dans lesquelles tu puises, les gestes et techniques que tu mets à l’œuvre, les arts que tu réunis et ce vers quoi tu tends ?

CHARLOTTE : Au départ, je cherchais un moyen de rendre la peinture autonome. Pour moi, la peinture est la matière visuelle la plus proche de mes projections, de mes rêves, de mes pensées. Je conserve de l’enfance ce désir, un peu innocent, de projeter l’espace du rêve dans la réalité … Glisser de la fiction à la réalité … Qui n’a pas eu le désir, enfant, que les personnages d’un dessin animé puissent sortir de l’écran pour venir jouer ! Avec la peinture, j’ai le sentiment que je peux donner vie à mon imagination. C’est pourquoi, je cherche en permanence à faire corps avec la peinture. Si dans l’art moderne, les peintres voyaient dans le tableau une fenêtre sur le monde, j’ouvre la porte à la peinture pour la faire rentrer dans la vie, en essayant de dépasser la surface du décor. J’adore me promener dans l’envers d’un décor de spectacle, je trouve cela fascinant. Il nous rappelle à la réalité du monde, comme pour dire « oui, oui, tout est possible, mais dans un espace donné… ». C’est l’idée des hétérotopies de Michel Foucault, tout est faisable dans une cabane d’enfant ou à l’intérieur de la boîte noire du théâtre.
Depuis l’époque de notre rencontre, je suis dans une envie de bousculer la surface plane du décor avec des actes performatifs. En résidence à La Station1 à Nice, déjà j’y approfondissais une recherche picturale liée à la danse. Je mettais en scène un ballet dont les gestes de danse étaient pensés comme des supports pour ma peinture. Rudolf Von Laban voyait la danse comme « une recherche vers un état de joie », j’aime bien cette idée. Quelques mois auparavant j’avais effectué une résidence en Australie, au cours de laquelle j’y ai notamment appris que les aborigènes voyaient la danse, la peinture et la céramique comme des mediums de transmission pour le rêve… Alors, quand tu as évoqué le vivant comme axe de recherche au 3 bis f, cela a fait écho à ma réflexion et m’a donné envie, après la danse comme acte de vie par excellence, d’aller explorer la voie de la nourriture et de créer ce banquet-exposition.

D : Pour ta résidence de création au 3 bis f, outre la proximité de la salle de théâtre qui jouxte l’espace d’exposition, c’est aussi la dimension de lieu de vie que tu as choisi d’investir, en partant sur cette proposition de banquet-exposition. Elle s’inscrit tout autant dans la lignée de tes recherches sur les fêtes et repas donnés par les artistes dans l’histoire de l’art, prolonge l’expérience de tableaux vivants menés dans ton précédent projet Le Ballet Tribalesque et une première expérimentation collective aux Ateliers du vent à Rennes en 2020. Peux-tu nous en dire davantage à ce sujet ? Et comment, entre sa conception et sa réalisation, ce projet a également pris une nouvelle « couleurs » après les deux années passées ?

C : Oui, la dimension hyper festive que je souhaitais injecter à ce banquet a un peu changé, peut-être à cause des années passées sous covid… Je ne sais pas.
Le Ballet Tribalesque était une véritable explosion de joie, c’était le désir de parler de légèreté avec intensité « une joie sans raison, sans convention » disait Sonia Delaunay à propos de Relâche un ballet de Tristan Tzara. Mais surtout, là où Le Ballet Tribalesque était un projet porté seule, il m’importait pour celui-ci d’être dans le collectif. Ce banquet-exposition c’est une collaboration avec quatorze artistes, quatorze points de vue, une trentaine d’objets. J’ai construit cette exposition à partir d’objets que je n’ai pas conçue, qui ne sont pas toujours des contenants pour le caviar… Ils posent un regard parfois grinçant, tantôt tendre, malicieux et dubitatif sur le monde. Ça m’intéressait de convoquer des réflexions extérieures, de m’appuyer dessus pour étendre mon imaginaire, aller dans des directions que je n’aurais pas choisi seule. J’avais envie de me dépasser un peu, de m’échapper de moi par le biais des autres.
J’ai produit cette installation peinte que je nomme banquet-exposition de manière assez instinctive. Il y avait cette volonté de rassembler des artistes aux univers forts et singuliers pour échafauder un scénario à 14 voix autour de la même table et de prendre les mots « nourriture spirituelle » au pied de la lettre. Dans mon installation, on est invité à manger dans l’œuvre d’un artiste, à contraindre la gestuelle du repas classique, on est confronté à de nouveaux usages et tout cela passe par la nourriture, le corps, je trouvais cela assez fort.

D : Le titre de l’exposition nous renvoie aussi bien à tes origines italiennes qu’au cinéma de Fellini ou de Pasolini. Plus largement, sa douce poésie, « Où sont les plages de notre félicité » initie-t-elle un déplacement de cette mélancolie heureuse, sentiment qui infuse ta pratique tout comme que cet air de Saudade qui la caractérise ou reste-t-elle dans son prolongement ?

C : Je suis italo-bretonne et j’ai envie de croire que ça joue beaucoup dans ma recherche. Un mélange de baroque flamboyant avec une vue sur l’Atlantique ! (rire)

Ma palette de couleurs, c’est un combo de sentiments qui se manifestent par des morceaux de paysages et des visages d’icônes féminines qui me saisissent et me touchent profondément. J’ai besoin de les saisir par la peinture comme si ces images pouvaient parler à ma place.

En vérité je ne suis pas de nature mélancolique, je suis plutôt enjouée dans la vie, c’est pour cela que je parle de mélancolie heureuse. J’aime bien la poésie qui se dégage de ces deux mots antinomiques. Donc oui, dans ma pratique c’est toujours d’actualité. Je trouve que l’endroit de la plage colle bien à ce sentiment. La plage est un lieu de joie et de drame à la fois. J’ai adoré le film de Varda Les plages d’Agnès qui parle de ces espaces à la fois comme de grands territoires intimistes, des lieux de repli et d’aventure.

Aix-en-Provence, novembre 2021.

© Charlotte Vitaioli, ADAGP, Paris