Bruno
Peinado

22.05.2017

Me, Myself & I

Ce livre d’artiste présente l’ensemble des carnets de dessins de l’artiste, de 1995 à 2005, véritable source de sa création. Le titre de l’ouvrage reprend le titre d’une série de dessins.

Chacune des séries de dessins est séparée par quelques pages de respirations graphiques. Le livre de quelques 1600 pages est imprimé sur papier bible de manière à conserver le caractère léger et propositionnel du dessin.

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Me, Myself & I
Texte de Bruno Peinado, édition bilingue (français / anglais)
16 x 21,5 cm (broché, couv. synthétique, 6 marque-pages ruban colorés)
1632 pages (714 ill. coul.)
Coédition Loevenbruck, Blackjack éditions, 2008
Bruno Peinado © Adagp, Paris

De 1995 à 2005, j’ai réalisé plusieurs séries de dessins sur le même protocole : un carnet de voyage composé dans une durée, à partir d’objets trouvés et une feuille de papier A4 pliée en deux comme support.

Le désir est assez encyclopédique, celui d’embrasser le monde dans son étendue, ses apparitions les plus diverses mais aussi les plus ordinaires, s’intéresser en somme à ce qui est alentour.

Les images se donnent en série, chaque période de dessin produisant un nouveau carnet où la temporalité y est travaillée, du temps pris au temps, entre deux déplacements.

Plusieurs termes musicaux peuvent être convoqués à l’élaboration de chacun : variations, fugues, suites ou improvisations, toutes formes musicales capables d’organiser du semblable et de l’hétérogène. Mais c’est la composition d’un thème dans une durée qui en constitue la caractéristique principale.

Les objets dessinés à l’aquarelle évoquent le carnet de voyage tel que nous le connaissons depuis Eugène Delacroix. Dès 1832, lors de son voyage au Maroc, à l’invitation de Louis-Philippe et du comte de Mornay, Delacroix marqua fortement l’idée que nous nous faisons d’un carnet de voyage. Ses «calepins du Maroc » devinrent le modèle de référence et donneront lieu par la suite à tous les avatars que nous lui connaissons.

Ici, les carnets aquarellés, contrairement à ce parangon et ses copies, ne sont constitués que de motifs non pittoresques. Les objets qui les composent sont issus pour la plupart du tout-venant auquel un voyageur est confronté : les dizaines de prospectus, éphéméras et autres publications gratuites dont le touriste est la cible.

À partir de ces images vantant les mérites de tel hôtel, night-club ou soirée, des histoires en contrepoint de leur vocation première s’élaborent dans un temps donné de dessin.

Ce principe de narration et de composition sur le tas est un des éléments récurrents de mes recherches. Raconter le monde à partir de ce que l’on a sous les yeux, prendre cette matière première en considération afin de la redistribuer en en changeant la valence, souvent pour se départir d’un potentiel nocif, comme on le ferait d’une bombe à retardement dont on désamorcerait la charge.

Ces temps donnés de dessins se font l’écho d’un monde globalisé dont les enjeux esthétiques et les préoccupations sont pensés de manière identique de par le monde. Ces séries sont autant de chemins de traverse à ces logiques mondialisées, une tentative de révolution silencieuse, où ce «principe d ‘infusion » vient teinter des objets d’une autre couleur. Comme dans le Me, Myself and I des Jam Sessions de Billie Holiday, l’improvisation, l’altérité, les multiplicités du monde sont ici travaillées à la barbe des standards. De même que le «Black Face » fut, par le trait forcé, l’un des moyens décisifs qui enfin permit l’accès aux clubs à des Noirs - lesquels mimaient des Blancs grimés en Noirs -, ces dessins peuvent revêtir les atours du carnet de voyage et ses rituels pour tenter d’en perturber les fonctions.

Ces carnets n’avaient jamais été montrés en tant que tels avant le désir de ce livre.

Certaines séries furent projetées en diaporama à la Zoo Galerie ou à la Galerie Vigna, en 1999, jouant sur la notion de durée et se jouant du statut documentaire désuet des faiseurs de carrousels.

D’autres furent diffusées en une édition lors de l’exposition Good Stuff en 2000 à la Caisse des Dépôts et Consignations. Une centaine de dessins était imprimée sur un jeu de cartes reprenant le système de montage des House of Cards des Eames et l’on pouvait à loisir créer de nouvelles connexions à partir de ces images.

Puis quelques séries furent montrées encadrées pour la première fois à la Biennale de Lyon lors de l’exposition Expérience de la durée en 2005.

Mais c’est en 2006 pour l’exposition Me, Buysellf and l à la Galerie Loevenbruck que toutes les séries étaient montrées pour la première fois. L’imaginaire lié à un envers du décor où un espace mental était renforcé par les modalités de l’accrochage.

Les dessins étaient accrochés au dos d’une fausse cloison qui démultipliait l’espace de la galerie, éclairés par la lumière intermittente que diffusait Sans titre, Close Encounter, une série de caissons lumineux blancs, dont l’intensité montait et baissait dans un rythme proche de celui d’une respiration.

L’un des axes de ce projet était de montrer toutes les séries pour la première fois et la dernière fois, puis de les disperser dans différentes collections et de créer par là, grâce au soutien des collectionneurs, une économie qui permettrait de les rassembler dans un ouvrage. Ainsi est née l’idée de ce livre .

Il semblerait qu’après deux ans, nous soyons enfin parvenus à sa réalisation, et cela ne serait jamais arrivé sans le soutien d’Hervé Loevenbruck, la précieuse détermination d’Alexandra Schillinger et la patience de Sylvia Tournerie que je remercie tous trois ici.

Bruno Peinado, avril 2008, texte publié à la fin du livre.