Yves
Picquet

13.12.2021

Abbaye de Saint-Florent-Vieil, 2017

Mémoires enfouies
Saint-Florent le Vieil, Abbaye mauriste, 2017

Mémoires enfouies présente un ensemble de travaux du peintre Yves Picquet, né en 1942 à Coutances. D’une œuvre construite par séries, on découvrira les trois dernières, qui se sont succédé ces quinze dernières années : Ar bili (2003-2011), Hors Traces (2012-2014) et la série en cours, Plis/Replis (2015-). L’unité de chaque série repose sur une même logique : un protocole non pas décidé par avance mais élaboré progressivement par le peintre.

Le spectateur qui parcourt cette tranche d’histoire s’interroge. Qu’ont de commun les toiles froissées de Plis/Replis, les grandes toiles souples de Hors Traces et les assemblages-totems d’Ar bili ? Plus qu’il n’y paraît au premier regard.
On y reconnaît les invariants de l’œuvre d’Yves Picquet : « l’oblitération, le recouvrement, la saturation, le dévoilement » (éva Prouteau, site Documents d’Artistes Bretagne). Le passage, strate par strate, de colorants sérigraphiques, un blanc opalescent souvent en dernier, a pour effet que le fond affleure à la surface. La couleur de ces séries éclate, alors que les précédentes, Déclinaisons ou Le Vent seul, se limitaient aux contrastes de valeurs, le blanc, le noir ou le brun. Par ailleurs, elles révèlent une caractéristique majeure de l’œuvre d’Yves Picquet : le pli. Plis des toiles, fixés dans la dernière série ou plus libres dans Hors traces, en écho aux effets de plis provoqués par l’érosion à la surface des rochers bretons (Ar bili) et des plis et replis de la mémoire…

La liberté croissante que s’accorde le peintre surprend les spectateurs familiers de son œuvre : non qu’il cède à l’expressionnisme ou au geste spontané dont il se garde, mais les règles qu’il s’impose sont moins contraignantes qu’autrefois.

Enfin et surtout, ce qui rassemble ces trois séries est la présence, sensible ou secrète, du paysage, des structures d’Ar bili, nées de rochers du nord Finistère, à l’utilisation des algues dans Hors Traces ou aux peintures à feuillages de Pli/Replis. Le peintre se consacre à la peinture, rien qu’à la peinture : la toile et ses métamorphoses, les couleurs, les rythmes ; il y a bien longtemps qu’il a renoncé au motif. Et pourtant, indubitablement, la nature est au cœur de ces toiles ; elle vibre, elle palpite sous nos yeux.

Il faut ensuite descendre sous les voûtes des caves de l’abbaye où se matérialise un autre espace, un espace-temps cette fois. Les toiles préservent en elles la mémoire de leur réalisation. Le peintre qui le sait révèle cette mémoire aux spectateurs. Ce pourrait être là un des secrets de ces peintures.

Françoise Nicol

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[salle Mauron]
Les œuvres présentées ici, Ar bili 60, sont les plus anciennes de l’exposition. Elles appartiennent à la grande série Ar bili (2003-2011) qui marque le retour au paysage, « non pour le représenter, mais pour y puiser une matière, un prétexte à peindre » (Yves Picquet). En 2003, l’artiste, qui avait longtemps peint sur le motif dans sa jeunesse, a retrouvé le paysage, à Brignogan, dans le Nord-Finistère.
Harmonie de rouge, de jaune et de bleu, en contraste avec le noir, formes abstraites qui se dressent comme d’énigmatiques totems. Rien de naturel apparemment. Pourtant, des études préparatoires exposées à la Maison Julien-Gracq et confrontées à des photographies révèlent que la série a été conçue, selon une procédure précise, à partir d’un regard porté sur des rochers érodés au fil du temps.

Françoise Nicol

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[salle du Bellay]

La série Hors Traces, entamée en 2012, a été exposée en 2014 à Landivisiau. L’allure baroque et théâtrale des lourds drapés a alors été célébrée. éva Prouteau évoque « un paysage abstractisé, entre surfaces minérales et flux maritimes, entre le rituel, la performance et la lente élaboration picturale ».
Cette fois, Yves Picquet présente ces toiles souples insérées dans des formes géométriques, le carré et le cercle qui lui sont familiers ou le triangle. Le plissé bouillonné est ainsi circonscrit dans une forme qui le contraint en orientant le regard dans sa direction.

Françoise Nicol

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Photo : F. Blanchemanche

[salle du chapitre]
Les grands panneaux de la série entamée en 2015, Pli/Replis, déployés en long ou assemblés en triptyques, constituent le cœur de l’exposition. On peut parler d’harmonie ou d’équilibre plastique : de loin, le regard est pris dans la danse, rythmique, des couleurs, all over. De près, le relief apparaît. On devine une succession d’opérations incluant l’aléatoire sans relever pour autant de la peinture gestuelle.
Les couleurs sont passées en couches successives avec différents feuillages cueillis au jardin en guise de pinceaux ; la toile est manipulée selon une procédure complexe. À toutes les étapes, s’introduisent des variations, véritable fête pour l’œil.

Françoise Nicol

Mémoires enfouies, 2016 - 2017
Tissu, ciment, hauteur 30 x 20 cm environ
Photo : F. Blanchemanche

Mémoires enfouies, 2016 - 2017
Tissu, ciment, hauteur 30 x 20 cm environ
Photo : F. Blanchemanche

Mémoires enfouies, 2016 - 2017
Tissu, ciment, hauteur 30 x 20 cm environ
Photo : F. Blanchemanche

Mémoires enfouies, 2016 - 2017
Tissu, ciment, hauteur 30 x 20 cm environ
Photo : F. Blanchemanche

Mémoires enfouies, 2017
Bronze et ciment, hauteur 30 cm environ

Mémoires enfouies, 2016
Bas-relief, tissu, 60 x 60 cm

Mémoires enfouies, 2016
Bas-relief, tissu, 60 x 60 cm

Mémoires enfouies, 2016
Livre muet

Mémoires enfouies, 2016
quatre dessins au graphite, 65 x50 cm

[Caves]
Les sous-sols de l’abbaye recèlent les « mémoires enfouies ». Yves Picquet ne désigne pas ses propres souvenirs mais ceux de la peinture, pour ainsi dire. Comme si son rôle à lui se limitait à retrouver et révéler les mémoires perdues au creux de celle-ci.

Quelles sont ces traces mémorielles devenues invisibles ? Elles peuvent être des états temporaires de l’œuvre, estompés ou cachés au cours du processus de création. Ou bien ces traces dont seul l’atelier garde la mémoire, à l’abri des regards : ainsi, ces fragments de toiles peintes, « rebuts » abandonnés depuis des dizaines d’années.

Les frottages à la mine de plomb disposés au sol ont été réalisés sur les peintures de la série Plis/Replis. Ils soulignent le processus de froissage, essentiel dans cette série.

Les œuvres en volume (bas-reliefs en tissu compressé, cylindres faits de tissu et de ciment, livres muets) sont réalisées à partir de « rebuts d’atelier ». Chez Yves Picquet, rien jamais ne se perd. Les métamorphoses se succèdent, sans trêve.

Françoise Nicol