Vincent
Gouriou

11.04.2023

Le ciel gris se reflétait dans ses yeux clairs

Lilian Froger
Sur une invitation de DDA Bretagne, 2019.

Querelle de Brest de Jean Genet peut en soi constituer une entrée en matière idéale à la pratique photographique de Vincent Gouriou. Dans ce roman paru en 1947, se croisent et se rencontrent un matelot, son frère, un inspecteur ténébreux, des marins alanguis, une tenancière de bar et son mari bisexuel, tout cela dans le port de Brest nimbé en permanence d’un épais brouillard. Dans les portraits réalisés par Vincent Gouriou, on retrouve ce paysage brestois – et breton de manière générale –, fait de rochers, de landes et d’ouvertures vers la mer. Même quand le photographe travaille en intérieur, la lumière y est pâle, comme si le temps était constamment couvert ou brumeux.
Les personnages du livre de Jean Genet ne sont jamais seulement ce qu’ils semblent être, et tous abritent une complexité de prime abord insoupçonnée. De même, les portraits photographiques de Vincent Gouriou font fléchir les certitudes et les attentes. À différents degrés, ils troublent la frontière tracée entre masculin et féminin, nuancent la définition de ce qui forme une famille, et contreviennent à l’idée même de norme, qu’elle soit morale, sociale, physique ou sexuelle.
L’approche n’est ni directe ni frontale, le photographe faisant preuve de beaucoup d’attention et de prévenance envers le corps de ses modèles. De là naît une certaine forme de mise à nu, autorisant proximité et dévoilement de l’intimité, sans voyeurisme. Les portraits de Vincent Gouriou s’inscrivent dans la lignée de travaux d’artistes actifs depuis les années 1990 qui conçoivent la photographie comme la matérialisation d’une identité (aussi mouvante soit-elle), sans pour autant la figer : les adolescents photographiés par Rineke Dijkstra à la sortie de l’eau ou dansant en boîte de nuit, les corps androgynes retenus par Collier Schorr, ou encore les transexuels et les hommes nus de Takano Ryûdai. Spontanément, viennent aussi en tête les premiers portraits de Paul Mpagi Sepuya et ceux, magnétiques et éthérés, de SMITH.
Parfois sous-exposées, les photographies de Vincent Gouriou baignent dans une atmosphère un peu froide, aux teintes minérales. Les nuances colorées oscillent entre le gris, le bleu et le vert pâle, sans que l’on sache s’il faut les appeler ardoise, cendre, cobalt, perle, ou encore céladon. Rien n’est définitif, ni monolithique. Au contraire, l’indécision – fût-elle chromatique ou sémantique – préserve le travail de Vincent Gouriou des standardisations de tout ordre.

_Lilian Froger, 2019 Texte de Lilian Froger, sur une invitation de Documents d’Artistes Bretagne.