Jonas
Delhaye

06.11.2023

Une poétique du résidu

Par Rodolphe Olcèse dans Arts Contemporains et Anthropocène, Éditions Hermann, 2022
Extrait du texte

S’il est désormais entendu que nos environnements d’existence se font et se défont, prennent forme et se déforment au gré des activités humaines qui les agencent directement ou les affectent indirectement par leurs lointaines et désastreuses conséquences, comment ces activités industrieuses pourraient-elles ne pas s’immiscer et perturber le geste artistique soucieux de témoigner et d’éprouver les possibilités d’un rapport sensible et immédiat au monde ? Si la communauté humaine est effectivement devenue une force géologique de premier ordre, comment les productions plastiques qui se donnent comme des fragments composés à partir de la matière que leur offre le réel ne seraient-elles pas elles aussi modifiées par une telle force ? La conscience écologique repose fondamentalement sur une sensibilité à des troubles, des déséquilibres d’autant plus périlleux qu’ils appartiennent à une échelle échappant le plus souvent à notre activité perceptive, ne se donnent pas à voir immédiatement, ne nous atteignent que par le biais de données chiffrées sans effets notables sur notre activité sensible. Les pratiques artistiques contemporaines qui prennent en vue ces mêmes déséquilibres sont-elles en mesure d’instruire des possibilités autres de sentir et d’éprouver le réel, et conséquemment de l’habiter ?

Jonas Delhaye développe une activité plastique qui, à sa manière, s’efforce de nourrir et de travailler cette sensibilité à l’environnement sans laquelle il est illusoire d’espérer quelque changement dans nos modes de vie et nos usages du monde. Formé à l’école des Beaux-Arts de Lorient, sa production artistique se décline dans plusieurs directions : installation, performance, photographie ou vidéo. La question de l’empreinte est centrale dans son travail, dont le sens est toujours d’éprouver le milieu, c’est-à-dire d’abord de le vivre pleinement, en l’articulant à une expérience dans laquelle il sera conduit à produire ses propres traces et à s’y transfigurer.

La pratique plastique de Jonas Delhaye peut se caractériser dans les termes d’une poétique du résidu. Si les résidus sont, dans les expériences à caractère scientifique, ce qu’il reste d’une mise à l’épreuve de la matière par un appareillage dédié, l’acte artistique peut les solliciter en amont de lui-même, pour construire cet appareillage même qui va produire la mise à l’épreuve de la matière. Dans cette perspective, il est possible de travailler avec les effets, avec ce qu’il reste d’une activité humaine extrinsèque et de chercher à restaurer un lien avec un paysage ou une nature blessée par cette activité même.