Transsibérien, la neige comme fil conducteur
Film super8 inversible
Cette œuvre a été réalisée dans le cadre d’une résidence à Yishu8, Pékin, Chine
Pour aller en Chine, j’ai choisi le train ; pour éviter de prendre l’avion et avec la volonté de laisser le temps agir à la juste mesure de l’espace traversé. Découvrir une culture si différente en faisant un bon aérien aveugle ne m’était pas envisageable. Je me suis offert du temps.
J’ai saisi par ce biais l’opportunité de réfléchir à ce lien, à ce quelque chose qui traverse l’espace et le temps dans sa relation au déplacement.
Ainsi j’ai transformé et hybridé un boitier photographique de Brownieflash avec une pellicule super8 pour y prendre des photos de Moscou à Pékin. Le Brownie Flash est le premier appareil photo Kodak peu cher qui démocratisait dans les années cinquante la photographie à l’aube de l’avènement de la société de consommation qu’invitaient les Trentes Glorieuses et le début des congés payés. Le Super8 est quasiment son pendant cinématographique.
Pour moi, c’est aujourdhui la notion de vitesse et l’immédiateté qui a modifié le plus notre rapport au monde et à l’altérité. Depuis, le culte de l’immédiateté s’est mué en urgence comme base.
Ici, l’inversion de la fonction cinématographique du film super8 pour prendre des photographies unitaires, c’est une manière de questionner la notion de temps. Le résultat photographique n’est plus l’image comme illusion du mouvement sur écran fixe, mais pour l’observateur en action, les étapes d’une temporalité longue sur un fil photographique ténu.
Le noir entre les images fixes reste cette étrangeté physique d’où le mouvement surgit.
Vues de l'installation au Musée Guimet, Paris.
« Prendre des photos argentiques dans le train, cadrer droit devant pour j’escompte l’unité de l’ensemble sur la pellicule super 8 et supprimer la trop grande subjectivité du cadrage c’est :
Regarder, hésiter, laisser passer, regretter, se dire “c’était mieux avant“, ne pas déclencher, regarder, hésiter, appuyer sur le déclencheur, trouver que maintenant là c’est mieux, regretter mais ne pas en prendre une autre car ce serait la “presque même“ à côté, reposer l’appareil, se dire j’en profite, regarder sans prendre, se trouver bien, se dire que ça aurait pu faire une belle image, voir au loin, se jeter sur l’appareil, revenir à la fenêtre, trop tard, lâcher prise, se dire que la vie même nous laisse la possibilité d’oublier, se taire, garder pour soi, prendre l’appareil, attendre, déclencher plus tard quand ce sera mieux, plus en face, plus… caché par les arbres, penser que ça ne reviendra jamais, regretter, se forcer à accueillir le passage, faire retomber cette petite boule au ventre pour que prendre des images me laisse vivant tout de même, conscient, regarder, se laisser emporter, prendre deux images à la suite, se dire “et puis merde“, se reprendre, ressentir que c’est une histoire de présence et de manquement, l’envers est là, secret, en moi, et j’aime ça. »
Extraits de carnet, Transibérien, janvier 2020