Jean-François
Leroy

NEW . 07.05.2025

L'art dans les chapelles

2012, exposition personnelle, Chapelle Saint-Laurent, Silfiac
Photo : Stéphane Cuisset

Punctum
Sol vinylique, dimensions variables

Vitrail (Sur le mur à droite)
eurolight, laque acrylique, dimensions variables

Tenture
moquette, bois, acrylique, 530 x 335 x 30 cm

Dans le travail de Jean-François Leroy il y a, constitutivement, du jeu. Pas celui, limité et prédéterminé, par lequel on cherche la coïncidence d’avec un modèle, on vise l’analogie, le « comme si », entérinant la convention. Mais ce jeu, infini, qui caractérise la postmodernité – celle que Lyotard définit par un manque de critères stables, justement sans règles du jeu préconçues.

Première pièce : un large pan de lino à la teinte rappelant la banalité navrante des standards du mobilier d’entreprise, s’étale au sol. Et déborde même, remontant le long d’un mur – la couleur, invasive, cassant l’angle. Le all-over, également réparti, redéfinit l’espace, déterminant une surface libérée de ses fonctions localisantes et connotatives. Une surface qui, n’étant donc plus hiérarchisée, procure une sensation très proche du colorfield.

Sauf que. En pleine masse, s’enlève un cercle que l’on retrouve, basculé à la verticale, ajoutant une encoignure au mur attenant. Jean-François Leroy cite le colorfield, parangon du champ artistique moderniste, mais contrevient immédiatement à sa principale caractéristique : réfuter cette vieille idée académique du punctum. Il joue : car le point d’orgue, découpé au sol, ramène à la bassesse de sa condition, loin de la charge traditionnellement dévolue aux murs, mais indique aussi trivialement l’endroit du regard zénithal que suppose la destination cultuelle de l’édifice. Il joue, contre cette conception selon laquelle l’art délimite dans le monde un champ réservé régit par une législation stricte, contre l’idée que les œuvres ne prennent sens et valeur qu’en vertu de cette loi.

Un lé de moquette se déploie, tenu parallèle au mur par quatre bancs d’église : enchâssé dans ces bancs renversés, entre la planche d’assise et les pieds, fixés à la paroi. Pour Jean-François Leroy, il s’agit de peinture – façon de confirmer que ses œuvres s’appliquent à ne pas remplir un cadre préexistant dans l’idée. Peinture « toute faite » de la surface colorée du revêtement de sol. Peinture, car les quatre bancs rejouent les sections d’un châssis. Mais cette toile, mal tendue, plie et rebique. La forme donnée à cette peinture dit non plus le bien-construit, vertical, résistant à la gravité, mais le non-construit – l’anti-forme qui, selon Robert Morris, dévoile précisément la force de gravité travaillant à éroder la bonne forme. Ici, la tenue toute relative de la suspension verticale résiste à ce lieu commun de la Gestalt, qui voudrait que tout s’aligne sur la position érigée du spectateur. C’est une peinture, refusant une organisation strictement frontale – mais faut-il encore n’apprécier les œuvres que selon leur capacité d’adaptation à des disciplines imposant leurs procédures ?

Dernier jeu de bascule. Dans un panneau est reproduite la percée d’un vitrail voisin. Pourtant, la contreforme accrochée plus loin ne se contente pas de rejouer l’ogive, en inversant vides et pleins : sa partie supérieure décolle du mur, et pique vers la terre. Contre une trop simple promesse de rime visuelle, cet effondrement partiel, rabattant vers l’horizontale ; et la courbe molle, contrastant d’avec la verticalité de la forme référence et d’avec le matériau, dur, souligne encore la possibilité intrinsèque de non-correspondance. Jean-François Leroy installe toujours in situ en considérant le lieu non pas comme un objet tout délimité, mais comme un matériau qui engage encore des questions, et invite au différend.

Marion Delage de Luget