Jean-François
Karst

27.12.2022

Planches contacts

OSB, 2017
Peinture acrylique sur contreplaqué de peuplier, 22,8 x 32,2 x 1,3 cm
Numéroté - signé, 10 exemplaires + 2 E.A + 2 H.C
Multiple produit par Lendroit éditions, Rennes 2017

Raffaello, 2017
Peinture acrylique sur contreplaqué de peuplier, 22,8 x 32,2 x 1,3 cm
Numéroté - signé, 10 exemplaires + 2 E.A + 2 H.C
Multiple produit par Lendroit éditions, Rennes 2017

Frigolite, 2017
Peinture acrylique sur contreplaqué de peuplier, 22,8 x 32,2 x 1,3 cm
Numéroté - signé, 10 exemplaires + 2 E.A + 2 H.C
Multiple produit par Lendroit éditions, Rennes 2017

Enrobé, 2017
Peinture acrylique sur contreplaqué de peuplier, 22,8 x 32,2 x 1,3 cm
Numéroté - signé, 10 exemplaires + 2 E.A + 2 H.C
Multiple produit par Lendroit éditions, Rennes 2017

Aluminium, 2017
Peinture acrylique sur contreplaqué de peuplier, 22,8 x 32,2 x 1,3 cm
Numéroté - signé, 10 exemplaires + 2 E.A + 2 H.C
Multiple produit par Lendroit éditions, Rennes 2017

Après l’oxygène et le silicium, l’aluminium est le troisième élément le plus présent sur la croûte terrestre. Découvert tardivement, il fut d’abord au 19e siècle un matériau aussi précieux que l’or avant que des chimistes réussissent à le produire de manière économique. L’aluminium est aujourd’hui omniprésent dans les objets, les transports, l’industrie et même l’industrie alimentaire, à tel point que la totalité des organismes vivant en contient aujourd’hui des proportions plus ou moins importantes.

Aluminium est un multiple de 15 exemplaires réalisés en peinture acrylique sur bois. À partir d’une feuille de papier d’aluminium froissée, un moule en latex a été réalisé puis, patiemment, couche par couche, de la peinture acrylique est appliquée de manière à former une épaisseur suffisamment importante pour reproduire celle des reliefs de la feuille originelle.

Aluminium fait écho à une certaine idée du tableau, le mot tableau provient du mot table qui signifiait : planche de bois. Dans l’antiquité grecque, de nombreuses peintures aujourd’hui pour la plupart disparues ont étés produites sur bois. Les réminiscences de ces techniques sont encore actuellement utilisées dans l’art sacré à travers les icônes byzantines dont l’histoire mouvementée provient entre autres de questions liées à l’idolâtrie et à leur caractère jadis supposément achéiropoiète*.

Aluminium à été pensé à partir de ces paramètres, pour les qualités de réflexions du métal, pour les prédispositions supposées de la peinture à imiter, à représenter (…) qui alimentèrent longtemps les débats sur l’illusion et inspira les alchimistes dans la quête de transformation des matériaux grâce à l’action combinée de la chimie et de l’empirisme, à la fois scientifique et métaphysique.

*Du grec cheir, main, et poiêtês, créateur. Se disait à Byzance, d’une image qui, suivant la tradition, était d’origine miraculeuse.

Méthode traditionnelle, 2017
Peinture tempera à l'œuf, pigment, 220 x 150 cm
Vue de l'exposition Planches-contact Lendroit, Rennes
Photo : Jean-François Karst

Le titre Méthode traditionnelle renvoie à la fois à l’ivresse et à une certaine histoire de la peinture. La méthode employée pour réaliser cette peinture murale est celle de la tempera. La tempera ; technique qui consiste à mélanger des pigment à de l’oeuf à longtemps été utilisés dans l’histoire de la peinture et notamment dans la réalisation de certaines fresques à l’époque de la renaissance. Le motif est un signe graphique présent sur les bouteilles de champagne et certains vins mousseux. Ici le signe est démultiplié comme sous l’effet de troubles visuels dus à l’ivresse. Le motif crée alors des vibrations proches des illusions d’optiques comme celle de la grille d’Hermann.

Jean-François Karst 2017

Planches-contacts de Jean-François Karst : les matériaux de l’image

Jean-François Karst pratique depuis sa formation « la peinture autrement », en expérimentant des protocoles, en épuisant des procédures, dans une esthétique marquée par le mix et le hasard. Après avoir développé nombre de projets diversifiés depuis une quinzaine d’années, toujours dans une logique de distanciation faible d’avec le réel1 , il revient au médium fondamental tant il reste fasciné par la « capacité de la peinture à représenter ce qu’elle n’est pas ». Trop hâtivement proclamée morte depuis quelques décennies, les débats sur cette dernière restent pourtant encore vifs et stimulants. Dans la Grèce antique, les raisins peints par Zeuxis parvinrent à tromper un oiseau affamé qui tenta de les picorer. Son ami et rival Parrhasios réussit lui à abuser sa perception par un rideau peint en trompe-l’œil que Zeuxis tenta de soulever pour voir derrière, réalisant par son geste la puissance de l’illusion ainsi produite. La mimèsis, enjeu de ce duel artistique fondateur, est abordée de manière radicale dans la série Planches-contacts. Cet ensemble représente des matériaux industriels variés tels qu’enrobé, OSB, polystyrène, feuille d’aluminium, verre granité, etc. et donne ainsi à voir l’épiderme industrialisé de notre époque, par une approche singulière de ce qu’il nomme « les matériaux de l’image ». Peinture ou représentation, c’est toute l’ambiguïté de ce travail aussi complexe que simple d’apparence.

Mouler la peinture
Pour peindre, il commence de façon étonnante par faire du moulage, pratique pourtant traditionnellement associée à la sculpture mais qu’il déplace dans son domaine d’origine, l’image. Chaque pièce est fondée sur la prise d’empreinte en latex d’une matière choisie pour sa relative indifférence parmi ce qui s’offre dans la ville. De l’acrylique est ensuite déposée par gravité de manière très précise dans les creux. La superposition des couches constitue alors progressivement une matière véritablement plastique où l’emploi de teintes différentes provoque une vibration chromatique pour s’approcher au plus près de la vérité du modèle. Ce protocole très réglé lui permet de tenir la subjectivité à distance, de cultiver ainsi la retenue et d’éviter la trace et le geste qui, rapidement, font style. Le moulage étant par essence affaire de fragment, à l’égal du cadrage photographique, une zone choisie en vaut une autre, ce qui supprime aussi les affres de la composition. « Hypersensible à la matérialité des choses », cette pratique lui permet de savourer « le plaisir de l’existant ». Il profite de ce que le monde offre déjà avant d’y ajouter du nouveau. Cette manière particulière d’envisager le processus pictural induit une intimité forte avec le modèle et inscrit le résultat dans un rapport d’échelle un, relief compris.

En sculpture, le moulage était honni jusqu’à Rodin car considéré comme simple pratique mécanique ne relevant pas d’un art libéral, ne pouvant donc prétendre à l’imitation2 , au sens platonicien du terme. Servilité, aspect mécanique et absence de style constituaient autant de reproches adressés à cette technique. Ils intéressent justement Jean-François Karst qui affectionne une patiente « logique de construction » en travaillant à plat dans un empilement vertical des strates, celui également de l’architecture. Dans cette chaine procédurale, les étapes s’enchainent sans aucune visibilité sur le résultat à venir. Ensuite, au terme d’un séchage long et contrôlé, les couches d’acrylique forment une peau épaisse, démoulée précautionneusement. À la manière des tirages, comme pour des gravures, des photographies ou bien des sculptures, vient alors ce moment particulier de la découverte du résultat. Pour Georges Didi-Huberman, le moulage constitue un « aveugle équivoque 3 » dont le « résultat n’est avare ni en surprises, ni en attentes dépassées, ni en horizons qui s’ouvrent d’un coup […]. Cette valeur heuristique de l’empreinte – cette valeur d’expérimentation ouverte – […] semble fondamentale 4 ». Et en effet dit l’artiste, « le hasard requalifie souvent la notion d’échec en découvertes qui alimentent le travail5 ». Démoulé, le feuilletage acrylique est ensuite positionné dans son sens définitif, collé sur un contreplaqué de peuplier, dans la stricte continuité de la tabula qui fonde le concept même de tableau. Mais contrairement à la pratique traditionnelle, c’est ici le fond qui, par retournement, apparait comme surface. Aussi, aucun repentir n’est possible, conséquence notable de ce renversement de la hiérarchie des normes. Le format choisi, proche du A4, est de type portrait, dans une proximité d’échelle entre ce qui est figuré et le spectateur pour rester, dit l’artiste, « en vis-à-vis ». Cela permet aussi d’échapper de la sorte à la question du paysage, à son goût potentiellement trop narratif. Pour autant, les Planches-contacts peuvent être accrochées selon n’importe quelle orientation, les accroches étant prévues au dos. Au collectionneur de décider. Hybridant les univers de la peinture et de la sculpture, il est par ailleurs à noter que ces œuvres ont la particularité d’exister selon les cas comme pièces uniques ou comme multiples6 .

L’œil et la main
En 1415 déjà, Brunelleschi démontra avec sa tavoletta la continuité possible du réel et de sa représentation illusionniste en perspective linéaire en insérant le dessin de la place du Dôme de Florence dans le reflet du Baptistère. Le tableau - et par extension l’image - est ainsi institué depuis comme un espace fictionnel pouvant se superposer à l’espace représenté. Superposition et retournement se font pour Jean-François Karst dès l’étape du moulage. Une Planche-contact est ainsi doublement illusionniste : elle produit du matériau représenté un simulacre troublant (reliefs, textures, couleurs et échelle) mais escamote visuellement la peinture qui le constitue pourtant. C’est dire la prégnance de la figuration ! La perception est malmenée et il est impossible en effet, suivant Ernst H. Gombrich7 , de voir simultanément ces deux caractéristiques : soit le regardeur considère ce qui est figuré de manière plus qu’hyper réaliste, soit il cherche à voir la peinture en tant que telle, dans un va-et-vient incessant. Ces œuvres n’appellent paradoxalement pas un regard analytique. Le spectateur a tôt fait de les référer à du langage, par le nom des catégories : enrobé, OSB, crépi, etc. À quelle distance les regarder ? Le mieux est plutôt de faire un pas de côté, de s’intéresser pour cela à la tranche où se révèle le processus. Du mur au spectateur sont ainsi superposés dans l’ordre : un panneau en contreplaqué, de la colle, de l’acrylique épaisse en couches colorées successives. Pas de cadre pour que le regard puisse saisir cette stratigraphie, usuellement seulement détectable par des procédés scientifiques. Le parcours dans l’espace auquel est invité le regardeur n’est pas pour déplaire à l’artiste, qui met ainsi à l’épreuve la sensibilité dans un principe d’incertitude et d’indétermination. Ces œuvres invitent fortement à un rapport haptique. Et pourtant, mieux vaut paradoxalement ne pas tenter de détromper le regard en y mettant la main… si l’on veut du moins les conserver en bon état.

Ses Planches-contacts fonctionnent comme des échantillonnages en 3D d’un territoire urbain, beaucoup plus efficaces que des photographies pour rendre compte finement de ses spécificités. Le titre joue d’ailleurs de ce parallélisme avec l’univers photographique. Projet d’atelier, réalisé avec des matériaux collectés, il a désormais vocation à se développer sur de nouveaux terrains pour se diversifier et s’enrichir des surprises rencontrées sur place. Berlin est une ville qu’il a déjà souvent parcourue. La Mies van der Rohe Haus, construite par le fameux architecte alors directeur du Bauhaus, pour le couple d’imprimeurs Lemke dans les années trente, y a connu une histoire mouvementée, inscrite dans les troubles du XXème siècle. Ce témoin architectural discret mais remarquable serait pour lui un point focal idéal pour développer une exploration du quartier plutôt ordinaire dans lequel elle est située, au travers d’un regard attentif sur les surfaces qui le constituent. Rome, autre ville chargée d’histoire s’il en est, l’intéresse également comme site d’exploration matériologique où expérimenter une autre dimension de cette recherche qui reste ouverte.

Philippe Dorval, Rennes, janvier 2018

L’auteur est enseignant d’arts plastiques au Département Carrières sociales de l’Iut de Rennes, Université de Rennes 1.
Ses publications portent sur l’art contemporain et sa réception.

  1. Notamment la série des Paraboles (2010) en céramique, la Caravane (2013) en brique plâtrière ou les Crochets de 2017 réalisés, déjà, en peinture.
  2. David d’Angers, sculpteur néo-classique (1788-1835) qualifiait ainsi le moulage dans ses Carnets : « fac-simile de nature (…), ce calque inanimé de la vie ne doit servir à l’artiste qu’à titre de note ». Cité p30 dans le catalogue À fleur de peau ; Le moulage sur nature au XIXème siècle. Paris, Musée d’Orsay, 2001. Ajoutons qu’il en alla de même pour la photographie à ses origines à qui Baudelaire déniait toute capacité à choisir dans le réel, ravalant cette empreinte lumineuse au rang de « très humble servante » de la peinture. (Salon de 1859)
  3. Georges Didi-Huberman : Figée à son insu dans un moule magique… Anachronisme du moulage, histoire de la sculpture, archéologie de la modernité. Cahiers du Musée national d’Art moderne, n° 54, hiver 1995. (pp. 81-113)
  4. Georges Didi-Huberman : La ressemblance par contact. Archéologie, anachronisme et modernité de l’empreinte. Les éditions de minuit, Paris, 2008, p31.
  5. Propos de l’artiste dans le numéro 3 du fanzine Apocryphe, Édition La collective, Rennes, à paraître en 2018.
  6. Des Planches-contacts ont été éditées à 10 exemplaires par Lendroit éditions, Rennes, en 2017. Ce sont des multiples d’artistes semblables donc mais pourtant chaque fois unique, par essence.
  7. Ernst Gombrich : L’art et l’illusion ; psychologie de la représentation picturale. Paris, Gallimard, rééd. 1997, p5