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Peinture d’histoire
Commissaire Jean-Marc Huitorel, artiste Jean-Benoit Lallemant
Exposition, conférence, mai 2016, Association festivart, Saint Briac.
Remerciements Chistine Benadretti, Robin Garnier, Damien Marchal.
Partie 1 : La conférence
**Partie 2 : Autour des œuvres**Peinture d’histoire
Dans la seconde moitié du 17ème siècle, Félibien, le théoricien du classicisme français, faisait de la peinture d’histoire le premier dans l’ordre des grands genres. Par « peinture d’histoire », on entendait des tableaux dont le sujet consistait en des scènes issues de l’histoire du Christianisme ou de l’Antiquité, parfois de la mythologie, ainsi que des représentations de batailles et de leurs héros. Le genre atteint son sommet au cours du 17ème siècle avant de décliner progressivement au profit des « scènes de genre », des paysages, puis, avec le Romantisme, d’une peinture plus lyrique et centrée sur l’expression. Parler de peinture d’histoire, aujourd’hui, peut donc sembler sinon anachronique, du moins paradoxal. Et pourtant. Le déclin de la peinture d’histoire aux 18ème et 19ème siècles n’avait pas empêché qu’on produisît de remarquables chefs d’oeuvre. Qu’on songe aux tableaux de David, de Goya, de Delacroix, de Géricault ou de Manet. Sans s’attarder sur les « pompiers » ou sur les peintres à la botte des totalitarismes (le réalisme socialiste par exemple, ou le néo-classicisme fasciste), on retiendra du 20ème siècle une part essentielle de l’oeuvre de Picasso, dont le sommet reste Guernica.Plus tard, avec l’éclatement des médiums et des genres, avec ce retour aux contextes politique, social, économique, qui marque les années 1990 et 2000, l’Histoire (« avec une grande hache », comme disait Michel Leiris) revient en force chez les artistes, en particulier par le biais de la photo, de la vidéo et de l’installation. Les exemples abondent de Gerhard Richter à Thomas Hirschhorn, Bruno Serralongue en passant par Jeremy Deller, Roderick Buchanan, Sophie Riestelhueber et tant d’autres.L’originalité de l’approche de Jean-Benoit Lallemant tient à plusieurs éléments. Certes les sujets qu’il aborde relèvent de l’histoire ou, si l’on veut, de la matière contemporaine de l’histoire qu’on appelle l’actualité : dictature nord-coréenne, réseaux djihadistes, bombardements par les coalitions occidentales, etc. Mais à ces sujets, qui ne suffisent jamais à faire de l’art, Lallemant articule une réflexion en acte sur ce vieux médium qu’est la peinture, en particulier sur la chaine de production qui en constitue la matière, c’est-à-dire le lin. Car les tableaux qui servent de support et de matériau au propos de l’artiste sont bien des toiles de lin tendues sur châssis. Une telle réduction de la peinture à ses constituants matériels, on n’en avait pas vue depuis Support-Surface et les derniers feux du modernisme, les années 1980 se chargeant de recouvrir tout cela de rassurants motifs colorés. Ici, la surface du tableau ne s’évalue pas en en « figures », « paysage » ou « marine » mais plutôt en cartographie, à tout le moins en aires géographiques à l’heure des guerres télécommandées, du temps réel et de la globalisation virtuelle. La série intitulée Trackpad consiste en une toile de lin brut tendue sur châssis qui s’anime au moyen d’un mécanisme informatique reproduisant par le son les points d’impact des bombes lâchées des avions et des drones ou télécommandées. La surface du tableau évoque la forme des pays concernés. Les différentes versions de Birth of a Nation reproduisent les organigrammes pris sur Internet de réseaux djihadistes présents au Proche-Orient ou en Afrique par exemple, mais plus encore sur le Web où ils développent le cyberterrorisme. Chaque entité constitutive de l’organisation est symbolisée par un petit tableau relié aux autres par un fil de lin tiré de son tissage même. L’ensemble forme une sorte de sinistre constellation qui tient sa disposition et ses proportions du réel militaire et guerrier auxquels appartiennent les motifs qui sous-tendent ce type de peinture. Peinture sur le motif, en effet, achrome et minimale mais pourtant radicalement figurative, de la figuration du temps d’Internet et des réseaux invisibles, des paysages virtuels et des violentes tragédies dont ils sont le lieu. Peinture d’histoire.
Jean-Marc Huitorel, 2016