Jacques
Villeglé

05.02.2012

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Exposition Jacques Villeglé, Ravisseur d’affiches, La Cohue, Musée des Beaux-Arts, Vannes
22 mars - 1er juin 2003

Photo : OC-Musée de Vannes

Texte de Marie-Françoise Le Saux, publié dans le catalogue Jacques Villeglé, ravisseur d’affiches, Musée des Beaux-Arts de Vannes, 2003

Jacques Villeglé se plaît à rappeler que Vannes fut le lieu de sa première rencontre avec la pensée créatrice moderne, celle de Miro. À cette époque, le jeune collégien veut être peintre, mais sa curiosité du monde ne trouve que peu d’échos dans cette ville où, dit-il, « la porte toujours fermée du musée municipal, l’ancien évêché, évoquait [ … ] le château de la Belle au bois dormant ». Soixante années plus tard, le musée, sorti de son profond sommeil, accueille un artiste dont l’œuvre a contribué à écrire un chapitre important de l’histoire de l’art du xxe siècle.

C’est à ce titre, et non pour un quelconque prétexte géographique, qu’il semblait intéressant de se laisser guider à travers un ensemble d’œuvres choisies par l’artiste dans sa propre collection.

Jacques Villeglé a voulu tirer parti des volumes de la Cohue en présentant des grands formats, dont certains n’avaient jamais été exposés. Son attention au public l’a conduit à une sélection d’œuvres des différentes familles thématiques du catalogue raisonné: « lettre lacérée », « sans lettre, sans figure », « avec Lettres ou fragments de mots », « affiches de peintres », « transparences », « politique », « objets ou personnages lacérés », « dripping et graffiti », « placards et journaux », « petits formats divers ». Cette lecture historique et pédagogique permet une appréhension large et variée de ses recherches depuis les débuts des affiches lacérées en 1949, jusqu’aux signes socio-politiques, au cœur de ses expérimentations plastiques d’aujourd’hui.

Cette démarche généreuse, belle réponse au souvenir des frustrations intellectuelles et esthétiques de ses jeunes années, est une invitation à refaire le chemin de son œuvre.

Dans le texte d’introduction à cet ouvrage, Jacques Villeglé s’interroge sur les choix qui s’offraient à lui dans ces années 1949 : « Pourquoi ai-je tourné le dos à l’abstraction, à l’informel… ? » Pourquoi ? Après un bref et décevant passage à l’École des Beaux-Arts de Rennes, dont le seul fait marquant aura été sa rencontre avec Raymond Hains, Jacques Villeglé s’inscrit en 1947 aux Beaux-Arts de Nantes. De ce même été à Saint-Malo date les premières collectes d’« objets trouvés» : échantillon de catalogue, fil d’acier « si ce n’est une sculpture en ronde-bosse, c’est du moins un dessin dans l’espace sans manipulation concertée », fragment du Mur de l’Atlantique.

Révélation ! la question Que peindre? n’a plus de sens, et la formule de son ami nantais Camille Bryen « la non-peinture devient peinture» lui ouvre des horizons nouveaux.

En 1949, il s’installe définitivement à Paris. La même année, Ach Alma Manetro devient la première affiche lacérée signée Villeglé et Hains, revendiquée comme œuvre à part entière. La rue va dès lors devenir l’atelier du peintre. Hains et Villeglé travaillent aussi à mettre au point des lettres éclatées, photographiées à travers une trame de verre cannelé. Ils choisiront le poème phonétique Hépérile de Bryen pour officialiser leurs recherches. Le petit livre Hépénïe éclaté, 19 juin 1953, connaîtra de multiples variantes peintes.

Les affiches collées, superposées en strates épaisses puis déchirées, recouvrent murs et palissades, développant un alphabet plastique infini.

La force évidente des messages devenus énigmatiques, la beauté des compositions aléatoires des aplats de couleurs ne laissent aucun doute sur le statut de ces œuvres. Pendant dix ans, Jacques Villeglé collecte et classe cette création de la rue où se côtoient poésie, humour, choc des signes… mais doit aussi lever les ambiguïtés et les contresens. Des réalités nouvelles, publié en 1958, oppose le « faire» des papiers collés présents dans les œuvres des débuts du siècle, à « l’appropriation» des interventions anonymes du décollage d’affiches. Jacques Villeglé crée le personnage mythique « Lacéré anonyme », artiste sans nom, dont il se fait l’interprète.

L’exposition des « Affichistes » Hains, Villeglé, Dufrêne … et aussi Tinguely, Yves Klein, de 1959, présentée à la 1ère Biennale des Jeunes de Paris, sera houleuse. L’adhésion de ces artistes à l’idée d’un art en prise directe avec des «morceaux de réalités» amènera, l’année suivante, le critique d’art Pierre Restany à rédiger le premier manifeste du Nouveau Réalisme.

Jacques Villeglé sillonne inlassablement les rues de Paris, il voit, choisit puis ravit des lambeaux de « peau des murs », les nomme du nom de la rue où ils ont été prélevés, ou du message qu’ils délivrent, indique le jour, le mois et l’année de la cueillette, et ainsi les révèle.

Cette moisson, répertoriée avec le soin maniaque du collectionneur, va devenir œuvre d’art par transmutation. Jacques Villeglé se dit le « passeur» du message de la rue. Il nous invite dans son quartier: Rue Réaumur, rue des Vertus,

4 juin 1984, Rue Beaubourg, 19 juin 1985, nous entralne jusqu’au Quartier Saint-Michel, mai 1988 puis nous reconduit vers les A-côtés de la rue de la Garté, 7 mai 1987 bien connue des Bretons, et de Bécassine & Renaud, route de Valence d’Agen, Moissac, 8 juillet 1998.

Parfois jeu du hasard et des rencontres, un graphiste retrouve sa création « Villegléiée » Patti Smith & Mapplethorpe, place Jasmin, Agen 26 août 1998. Jacques Villeglé est à l’écoute des bruits visuels du monde dans lequel il vit, sensible à ses variations, interrogateur lucide, il sait en saisir toutes les nuances.

Depuis 1969, il relève tous les signes graphiques porteurs d’idéologie, le £ de la Livre sterling, la croix de Lorraine, la faucille et le marteau … qu’il débarrasse de toute symbolique militante. De ce nouvel alphabet, il fait un jeu graphique à usage personneL.

La reconnaissance de l’œuvre, par les institutions les plus prestigieuses, n’a en rien changé le personnage villegléen, iconoclaste et libre, il reste ouvert à toutes les expériences, disponible à toutes Les rencontres.

MARIE-FRANÇOISE LE SAUX