Hervé
Beurel

29.05.2015

Hervé Beurel, entretien avec JCN

Hervé Beurel, entretien avec JCN

JCN : Hervé, tu présentes à la galerie Fernand Léger un ensemble de photographies sous le titre collection publique. Des photographies qui s’apparentent à des tableaux abstraits : de quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’un ensemble de quinze photographies de décorations ou de compositions murales existant sur des façades d’immeubles que je prélève frontalement par un cadrage rigoureusement déterminé par le motif lui-même. Mon intérêt pour la ville et l’espace public en général m’a amené à repérer la présence récurrente et familière de ces réalisations à caractères artistiques qui accompagnent ordinairement des programmes architecturaux des années 60-70, contemporaines donc de cette période de transformation du territoire et de prospérité économique que l’on nomme communément les trente glorieuses.
Leur relative discrétion voir leur quasi-absorption dans l’environnement urbain incite peu à interroger leurs qualités plastiques, encore moins à vérifier leur statut ne relevant souvent ni de la commande publique, ni du 1% artistique.
Leur inscription dans l’espace urbain dénote plus d’une volonté idéologique de façonner l’image d’une ville moderne, riche et prospère que de faire exister une véritable démarche artistique. Ces réalisations apparaissent comme le prolongement de programmes immobiliers venant embellir les façades de compositions plus ou moins élégantes élaborées en atelier et appliquées par simple report avec les matériaux même de l’architecture ( béton, mosaïque…).
En conséquence, ces réalisations s’inscrivent naturellement dans un rectangle ou un carré tel un tableau simplement agrandi et exposé sur les murs de la ville, anticipant pour ainsi dire sa reproduction par la saisie photographique.
L’ensemble photographique que j’ai réuni pour l’exposition « collection publique » consiste à retrouver dans ce qui subsiste de ces utopies architecturales, les références d’une esthétique moderniste, les restes d’une abstraction géométrique et paradoxalement, de repérer dans la banalité et la standardisation de l’environnement, les valeurs d’exceptions et d’originalités provenant de l’histoire de l’art.

JCN : Chacune des œuvres que tu présentes apparaît comme une résurgence maladroite d’œuvres que nous avons croisés. Stella, Bart van der Leck, Ben Nicholson ou encore Sophie Taeuber, cela va même ironiquement jusqu’aux arts numériques avec cette pièce bleu verte dont le carroyage pourrait se faire passer pour une pixellisation. Comment s’opère le choix ?

On ne peut parler véritablement de choix, car c’est plus le résultat d’une collecte dont chaque élément contient plus ou moins explicitement des références d’un héritage des avant-gardes du 20ème siècle . En réalité, nous sommes face à un ensemble, où chaque tableau photographique semble se confondre avec l’image mentale que l’on se fait communément de l’art abstrait. Le résultat s’apparente à un inventaire d’archétypes visuels composant au mur de l’espace d’exposition une seconde image : celle, rassurante et familière du musée et de sa collection d’art moderne.

JCN : Il y a une constante que j’aperçois dans le protocole de prise de vue que tu as mis en place très tôt dans ton travail. La frontalité, l’orthogonalité, le cadrage serré sont autant de position dans le champ de la représentation. Peux-tu nous éclairer sur cette approche ?

La plupart de mes travaux jouent sur la coïncidence entre objet et image. Autrement dit, la planéité des objets photographiés et celle du support photographique se superposent en réduisant la dimension illusionniste des images à une oscillation de surface, les ombres portées ne leur donnant jamais une véritable troisième dimension. En jouant du médium et de ses capacités à la fois descriptives et illusionnistes, j’obtiens une image photographique ayant acquis une forte identité d’objet pour une perception immédiate, quasi-tactile. Par le format, la frontalité, la neutralité, il s’agit de jouer avec la possibilité d’une substitution.

JCN : Qu’il s’agisse des glissières de sécurité d’autoroute (Secteur 1, 1996), des carrosseries de voiture (Carrosserie panoramique, 1996), des tissus, (Impression d’ensemble, 1999), et maintenant des mosaïques et décorations murales, tu sembles avoir une affection toute particulière pour les sujets à priori pauvres, en
quoi sont-ils des révélateurs de notre présent ?

Je ne pense pas que cela se réduise à une affection particulière pour des sujets pauvres, car ce qui m’importe avant tout c’est que chaque chose photographiée devienne un signe fort, clair et complexe à la fois. Je crois que cette exigence est bien présente dans la série des décors muraux en ce qu’ils sous-tendent deux lectures, l’une immédiate d’une certaine abstraction hiératique et puriste et l’autre implicite et plus vaste d’un environnement pauvre parfois en effet.
J’ajouterais un point important concernant la série « collection publique », en abordant les questions liées à la reproduction d’œuvres d’art, aux conséquences juridiques de la propriété artistique et aux droits d’auteur. Au moment où l’espace public-privatisé se trouve envahi de logos d’entreprise ayant détourné les formes emblématiques du Modernisme, il convient d’intervenir, à mon avis, plus par des principes de renvoi en miroir, de réitération, de reconduction que de prise de possession. Il ne s’agit ni d’adhérer à ce qui est convoqué, ni de se l’approprier comme matériau, mais faire de chaque tableau photographique un emblème à la fois énigmatique et familier de notre environnement et de notre culture.

Entretien paru en janvier 2007, in Exporevue magazine, à l’occasion de l’exposition Collection publique, Galerie Fernand Léger, Ivry sur Seine.