Gabrielle
Manglou

10.10.2023

D'où

Collage, 2015

« D’où » est un jeu entre une maîtrise géométrique et des maladresses ou glissements spontanés ; une exploration ludique entre images signifiantes et abstractions, juxtapositions enjouées de formes colorées, d’images empruntées et de géométrie en déséquilibre.

D’où est une sorte d’herbier de la fulgurance de la pensée qui sautille sur des points d’accroche pour viser en son cœur « une poésie du point de vue ».

D'où, 2015
Série de collage, dimensions variables

© Adagp, Paris

«FUNKY GÉOMÉTRIE - Avec D’où, son dernier joujou graphique, Gabrielle Manglou s’amuse avec les outils des loisirs créatifs dans une série de collages funky.

Les œuvres de Gabrielle Manglou ont toujours un l’air de joujoux. Les couleurs vives, l’économie de moyens, la légèreté́, la fraicheur et les ressorts ludiques donnent à ses formats, souvent petits, de faux airs de modèles de démonstration pour amateurs de loisirs créatifs. Dans le contexte de la vulgarisation de cette discipline associée à l’inépuisable mode de la déco (pensez à ces armées de jeunes mamans qui inondent Pinterest de photos de la chambre d’enfant customisée à la gomme e), la re- marque peut sembler péjorative, et l’on pourrait même y voir une résurgence de l’ancienne indécrottable des détracteurs de l’art contemporain : «Mon gamin de trois ans pourrait faire ça.» Ce n’est pas du tout ce que je veux dire. Il n’y a qu’à observer avec un peu d’attention les dernières fantaisies mangloussiennes rassemblées sous le tire D’où pour savoir, d’instinct, qu’il existe entre elle et la foule amateur un véritable gouffre, et que les ou les du loisirs créatifs sont pour elle simplement le prétexte d’un détournement.

Je parle ici d’instinct parce qu’il m’est difficile de trouver les mots pour décrire précisément d’où vient ce tte impression, pourtant très nette, que l’on pourrait résumer comme ça : «Pas de doute, Manglou, c’est une vraie.»

Peut-être est-ce une question d’engagement ? Car sous l’apparente facilité des collages, derrières les lignes nettes, l’entremêlement naturel des espaces vides et des espaces plein, et les couleurs gaies, il existe une violence. Celle qui pousse une dame bien sous tout rapport en pleine possession de son intellect à s’obstiner, depuis des années, à flirter avec le seuil de la pauvreté parce qu’elle ne sait pas comment vivre autrement qu’en fabriquant des images dans une île où l’art ne dispose d’aucun marché.

Et puis il y a l’intelligence, cette faculté à jouer de tout ce qui la traverse pour faire danser les formes, qui se posent en bon ordre dans la feuille, en suite d’idées associées par ricochets, et qui évoquent un peu les listes farfelues de mots qu’on apprend pour retenir leur parenté grammaticale (cailloux, choux, hiboux, genoux, poux, bijoux… joujoux). Oiseaux, crayons, branchages, triangles, ronds, soleils, regards : les objets et les géométries sont reliés entre eux dans l’imaginaire de Manglou par des idées, et chaque collage est une petite architecture intellectuelle minimaliste, amusée et dynamique. Une sorte de danse mentale qu’elle orchestre depuis son pupitre : «Sur ma table de travail tout est classé par petits tas : papiers de couleur, papiers calques, livres + images signifiantes, papiers d’origami, peintures, crayons, scalpel, scotch PH neutre, ciseaux. Tout à disposition pour servir le propos, comme une table de mixage.»

Pour situer son travail, Gabrielle Manglou parle pas mal de musique, cite le peintre et sculpteur Alexandre Calder, ou les charmants enfantillages de l’Américain Richard Tuttle, pape du post-minimalisme, courant qui part comme son nom l’indique de la précision du minimalisme des années 60 (des formes abstraites et géométriques) pour y ajouter des touches fait-main, un petit côté bricole. «Mais l’histoire de l’art, ici, est tellement loin de notre quotidien. C’est un peu comme le Petit Poucet à qui ses parents auraient mis deux ou trois cailloux à la place d’une centaine.» Oui parce que Gabrielle Manglou est surtout une artiste créole, qui occupe sur la piste éparse des arts visuels réunionnais une place à part, presque rien qu’à elle. Entre les vieux de la vieille et la nouvelle génération élevée au Street art, elle incarne une identité tropicale qui s’exprime dans la poésie, l’intime et la délicatesse plutôt que dans l’impact des visuels pour t-shirt ou le sérieux des constructions narratives ou symboliques bien cadrées. «Dans ce que je fais il y a de toute façon une histoire de chemin, de parcours, quel que soit son échelle, sur deux centimètres ou sur toute une vie : de quoi s’imprègne-t-on ? Qu’est- ce qui nous émerveille au fond ?

François Gaertner, Rédacteur en chef L’AZENDA, 2015

/

Vues de l'exposition D'où, à La Ligne, Saint-Denis, Réunion , 2015