Bruno
Di Rosa

10.11.2017

Œuvres sonores

Les Regrets

Une lecture de l’œuvre de Joachim du Bellay (1558)

Les Regrets (extrait)

Les handicaps légers, comme un bec-de-lièvre, un strabisme, un bégaiement, orientent toute une vie. Un adolescent bègue bute à chaque instant sur son handicap et toute sa personne se modèle autour de ce point. C’est terrible d’être décalé pour un si petit détail.

Le bégaiement dit ce mystère du désir qui pousse et retient en même temps ; c’est parce qu’on veut communiquer à l’autre une parole que la parole se bloque. C’est la parole qui gène la parole.

Le jeune homme qui lit le texte avait dix sept ans, sa voix est à l’état de passage, pas encore celle d’un homme mais plus celle d’un enfant. Le texte de Du Bellay se situe à ce point, à la fois pour le français, prêt à s’émanciper du latin et pour Du Bellay lui même, devenu trop « grand » pour continuer à « jouer dans la cour » du Pape ; il veut retrouver son « Loiret », son pays natal, sa langue maternelle.

Si je n’ai jamais bégayé, en revanche, j’ai toujours fait des fautes d’orthographe.

Kaddish

Une lecture de l’œuvre d’Allen Ginsberg (1961)

Kaddish (extrait)

Lorsque j’ai écouté l’enregistrement des Regrets, j’étais très content et j’avais hâte de le faire entendre, mais j’ai pensé que l’on pourrait me soupçonner de me moquer du bègue, aussi ai-je voulu m’impliquer personnellement et c’est ainsi que j’ai enregistré cette lecture de Kaddish, en anglais, alors que je ne parle pas l’anglais. Bien sûr le travail est autre car le bègue lit « mal » parce qu’il ne peut pas, alors que moi c’est parce que je ne sais pas ; cependant il me semblait faire un travail équivalent.

Le choix du texte a été motivé par la personne de Ginsberg qui s’est rendu célèbre par ses lectures justement, des lectures brillantes, presque hurlées. J’étais fier, si l’on peut dire, d’affirmer non plus une connaissance, un talent, une performance, mais une incompétence. Certes, il n’y a pas lieu de se vanter de ne pas savoir parler anglais mais enfin il m’a semblé faire preuve d’un certain courage, disons, de donner à entendre mon ignorance. Finalement quelque chose comme une autre performance.

D’ailleurs, c’est en me retrouvant chaque matin devant une page blanche, confronté au vide de la page, que j’ai pu mesurer l’étendu de l’ignorance et j’ai compris que c’est elle qui nous attire et non le savoir qui lui nous assure.

La voix

Deux lectures de l’œuvre de Bruno Di Rosa (1994)

La Voix (extrait), 1994
Texte lu par une chanteuse lyrique australienne

 

La Voix (extrait), 1994

Quand on écrit on est souvent amené à lire, à lire ses textes. Comme j’avais du mal à entendre ma propre voix résonner dans l’espace, j’ai pensé faire des enregistrements et faire lire par d’autres. C’est ainsi que j’ai pensé créer cette voix, une voix mi-humaine mi-machine ; quelque chose qui ne serait plus qu’une voix.

Bruno Di Rosa © Adagp, Paris