Exposition De la côté
Le projet De la côte a été réalisé dans le cadre de la résidence de recherche et création « Grand Ouest » soutenue par la Fondation d’entreprise Neuflize OBC et les Ateliers Médicis et avec l’aide individuelle à la création de la DRAC Bretagne.
En partenariat avec Passerelle, Centre d’art contemporain, le Centre d’art Gwinzegal, Guingamp et le FRAC Bretagne, Rennes.
De la côte, vers l’Ouest
Passerelle, Centre d’art contemporain, exposition personnelle 2025
Photos : Aurélien Mole
Aurore Bagarry nous invite à un voyage hors des sentiers battus, bien au-delà de la simple représentation du paysage. En regardant ses photographies, nous ne sommes pas face à des vues pittoresques, mais plongés dans des paysages-temps, des tableaux où la géologie se mue en chorégraphie silencieuse, et où la lumière sculpte le passage des ères.
À travers ses séries emblématiques, des majestueux « Glaciers » aux « Roches » brutes et aux étendues mutantes « De la côte », Aurore Bagarry ne capture pas l’instant, elle en révèle la longueur. Sa pratique de la chambre photographique, exigeante et méditative, ralentit le geste, impose une patience qui se répercute sur l’image elle-même. Les détails infimes des strates rocheuses, la texture ciselée par les éléments, les nuances chromatiques révélées par l’aube ou le crépuscule, tout concourt à une expérience sensorielle profonde, presque tactile. Ce n’est plus seulement l’œil qui perçoit, c’est le corps tout entier qui ressent la puissance des forces à l’œuvre.
L’artiste y déploie une réflexion sur la mutation incessante du monde. Ses côtes, balayées par les marées, révèlent des frontières poreuses et des formes d’une fragilité monumentale, là où terre et mer se rencontrent, s’érodent et se transforment sans cesse. Aurore Bagarry interroge notre place face à ces temporalités immenses. Elle nous rappelle que le paysage est une écriture collective, gravée par l’eau, le vent et le mouvement des plaques terrestres, bien avant l’intervention humaine.
En contemplant ses œuvres, nous sommes invités à une humilité vis-à-vis du temps géologique, à une prise de conscience de notre propre échelle éphémère. L’artiste ne cherche pas à dompter la nature, mais à entrer en résonance avec elle, à en saisir l’essence même : une beauté brute, une force tranquille, et une constante réinvention. L’exposition d’Aurore Bagarry est une immersion dans la matière du monde, un dialogue intime avec les éléments qui façonnent notre planète, nous conviant à voir au-delà de la surface, là où le temps s’incarne.
L’exposition d’Aurore Bagarry s’enrichit aujourd’hui d’une voix singulière : celle de l’artiste Vava Dudu (1970). Invitée à poser son regard sur les « côtes » d’Aurore Bagarry, Vava Dudu nous entraîne vers d’autres rivages, ceux des Caraïbes, à travers une exploration poétique et sensorielle. Ses mots, tissés de sensations et de rythmes insulaires, dialoguent avec la minéralité et la temporalité des images de la photographe. Ce geste unique est une invitation à percevoir comment la terre et la mer, qu’elles soient polaires ou tropicales, murmurent des récits universels, transformés par le prisme d’une sensibilité vibrante.
Communiqué de presse de l’exposition
De la côte
Le Centre d’art GwinZegal, exposition personnelle, 2025
Photos : Lilian Héliot
Depuis une quinzaine d’années, Aurore Bagarry photographie les formations sculpturales des glaciers des Alpes, du littoral rocheux de la Manche et plus récemment des côtes de l’Atlantique, en passant par la Gironde et la Bretagne jusqu’à la Martinique et la Guadeloupe.
Le répertoire de formes ainsi produit renvoie à une pratique déjà amplement présente chez les pionniers de la photographie de la fin du XIXe siècle — typologies, herbiers ou inventaires — qui visait souvent autant à documenter la nature qu’à la domestiquer. Si le rocambolesque des expéditions est estompé par le progrès des moyens de locomotion, le matériel photographique imposant qu’elle utilise aujourd’hui encore s’en approche. À la chambre photographique, c’est avec la même obsession du détail, la réfraction des couleurs ou encore le bruissement des lumières qu’elle tente de renouer. Ce qui se joue dans les photographies d’Aurore Bagarry nous emporte à la confluence d’éléments en apparence impossibles à réconcilier, vers le vertige du temps, celui d’une Terre vieille de plusieurs milliards d’années qui rencontre et éprouve le temps des hommes, infime en comparaison. Le littoral est le lieu privilégié d’une réflexion sur le temps : il incarne à la fois la mémoire des changements lents et l’urgence des transformations actuelles. La fluidité de l’eau, sa douceur, sa forme qui épouse le sol par le bas pourraient nous faire croire à sa candeur : elle contourne, passive. Mais c’est bien elle, en douceur, qui dessine les cavernes et les crevasses. La roche se découpe par plans nettement articulés et laisse voir les couches qui ont poussé les unes contre les autres pendant des millénaires. Le vent souffle du continent et repousse l’océan avant qu’il ne se couche, féroce encore, sur le granite. Le sol se déforme, les dalles de pierre glissent les unes sous les autres, le minéral s’érode.
Les végétaux luttent avec la flèche du temps. Les photographies de paysage d’Aurore Bagarry ne se réduisent pas au témoignage géologique ou à un jeu d’échelles, elles n’énoncent pas et ne défendent pas la promesse d’une théorie, mais elles ouvrent un dialogue entre l’intérieur et l’extérieur, vers une immensité dont les forces nous dépassent.
Jérôme Sother