Anaïs
Touchot

MÀJ . 01.12.2025

Le centre de désenvoutement du capitalisme

Exposition personnelle au Phakt, Centre Culturel Colombier, Rennes, 2022

Le centre de désenvoûtement du capitalisme propose une puissante méthode qui contribue au succès et au bonheur de chacun.e. d’entre nous.

Une thérapie en plusieurs étapes qui se joue entre autres des codes de l’économie libérale, du bien-être au travail, de l’happiness management propre au monde des Start-up. De l’hypno phone à la tisane anti-croissance, le centre offre des services variés comme le nettoyage de l’âme, l’allégement des karmas, le dégagement des entités nocives, le désenvoutement à distance…

Centre de Désenvoutement du Capitalisme, 2021
Vidéo 4 minutes
Un film de Anaïs Touchot

Praticienne 1 : Johanna Cartier

Praticienne 2 : Sara Petit
Composition Sonore : Vincent Malassis
Réalisation et Montage : Margaux Germain

Relax au Chamane, 2021
Composition Sonore Vincent Malassis
Improvisation vocale Agathe Sézanne
3 minutes 16 secondes

Relax au Centre Médical, 2021
Composition Sonore Vincent Malassis,
Texte et voix Anaïs Touchot

4 minutes 04 secondes

Relax au Temple
Composition Sonore Vincent Malassis

3 minutes 53 secondes

Production La Galerie des Territoires Partagés

Partant du principe, fondé ou non, que la recherche de profit est en contradiction totale avec des aspirations sociales, l’artiste Anaïs Touchot propose de nous accompagner dans le développement d’une nouvelle vie à travers une puissante méthode de désenvoutement contribuant au succès et au bonheur de chacun.e d’entre nous.

Comment vivre une vie heureuse et épanouie dans une société moderne axée sur le consumérisme ?
Acheter, acquérir, dépenser… Mais qu’est-ce qui nous pousse à consommer au delà de nos besoins normaux. La surconsommation, considérée comme « le mal du siècle » encombre nos placards, vide nos portefeuilles, nous pousse à nous endetter au point de nous faire perdre toute raison. Consommer pour exister, pour lutter contre nos angoisses, notre isolement ou nos carences affectives… Le système capitaliste exploite nos faiblesses comme la peur de manquer, notre besoin de reconnaissance et d’appartenance, notre rapport à la mort et notre recherche de sens.

Censé assurer notre subsistance, nous entretenons un rapport complexe à l’argent entre fascination et culpabilité. Objet de cultes et de passions, le capitalisme ne serait irrémédiablement devenu la nouvelle religion ou plutôt ce qui l’a remplacé ?
Anaïs Touchot imagine Le Centre de désenvoutement du capitalisme, une entreprise fictive installée au PHAKT – Centre Culturel Colombier pour 3 mois. Déployé en différentes salles successives, les visiteur.euses trouvent à chaque étape : des tableaux, des punchlines, un panneau pédagogique, un design laid, des meubles de collectivité, des bandes sonores, une boutique de souvenirs fabriqués et customisés par l’artiste.

Chaque salle du centre propose un thème et un karma qui apporte sa pierre à la thérapie. On parle de consultation à la place de visite d’exposition ou médiation. À la manière d’un plateau TV, le centre se divise en 4 scènes complémentaires représentant les étapes de la cure.

Le premier espace joue des codes de la salle d’attente traditionnelle : écran TV, fausse plante, décoration minimaliste et passe-partout… cette salle se veut sobre et rassurante comme pour apporter du crédit et de la vraisemblance à cette officine à la dénomination déroutante. Les fleurs artificielles évoquent la notion du soin. Il n’y a pas une mais deux pendules soulignant la dimension internationale de l’établissement. L’ambiance y est impersonnelle, il n’y a ni secrétaire, ni personnel médical mais en guise d’accueil un clip promotionnel.

Une ouverture nous invite à pénétrer dans une seconde partie plus foisonnante. La thérapie peut enfin commencer. Seul ou à plusieurs, en libre service, nous allons enfin arrêter de consommer…

Faute de dépenser nos euros, le centre nous propose de commencer par dépenser nos calories sur un vélo d’appartement. Autant pour échapper à notre frustration naissante que pour se mettre en jambe et débuter la thérapie, nous sommes invité.es à enfourcher ce best-seller des émissions TV de vente à distance. En pédalant gentiment, nous contemplons un montage d’extraits vidéos où se succèdent en superpositions de clips de démonstration de téléachat du monde entier et des vidéos de contenus «oddly satisfying» (curieusement satisfaisantes). Des actes médicaux, des pratiques artisanales, de la préparation de plats cuisinés ou du bricolage, l’ensemble engendre une réaction chimique comparable selon ses adeptes à celle dune relation sexuelle ou d’un aliment sucré. Cet exercice de méditation et de lâcher prise se prolonge avec un ensemble de hochets de bébé à cajoler selon le principe des ASMR « Autonomous Sensory Meridian Response » (réponse automatique des méridiens sensoriels), autres types de vidéos consultables sur internet et dont la dimension relaxante repose par exemple sur d’enregistrements de sons doux et répétitifs. Nirvana, frissons, transe… des slogans nous promettent une expérience intense de retour sur soi. L’ensemble est agrémenté d’images de centres commerciaux vaudouisés et d’attrapes rêves censés nous protéger des énergies négatives. Issus des pratiques chamaniques, ces derniers sont devenus un gadget incontournable des boutiques de travaux manuels.

Un ensemble de lettres (yoga du son), mots et formules ont été inscrits sur les murs. Issus de l’univers de la méditation, ils nous invitent au retour sur soi, à la recherche de la paix intérieure ou encore à des postures de méditation. Néanmoins, l’univers y est peu propice : les messages sont injonctifs et envahissants. Le voisinage de la bande-son TV rend la concentration difficile. La paroi saturée d’onomatopées côtoit un corpus d’incontournables de la méditation (plexus solaire, 3ème œil, chakra du cœur…). Pour notre séance, le centre a prévu un tapis de sol inconfortable, un lot de couvertures douteuses, une fausse lampe cheminée et une lampe de sel dont la fonction est plus décorative qu’apaisante.

Dès la salle suivante, nous passons à une pièce consacrée à des soins plus curatifs. Un ensemble de cadres aux motifs floraux ou paysagers soigneusement repeints décorent un pseudo-cabinet paramédical.

Des objets et des appareils recouverts d’informations côtoient de la tisane relaxante, des pilules, un fauteuil d’autosuggestion positive, un appareil de désenvoutement par électrostimulation, de l’encens… toute la panoplie du bien-être est ici proposée et si cela ne suffisait pas, une hotline téléphone est même accessible 24 heures sur 24 – 7 jours sur 7. La guérison est proche nous dit-on… c’est déjà le temps de l’auto-évaluation. Sous forme d’un autotest à point très en vogue dans les magazines, il s’agit de savoir si nous sommes enfin guéri.e.s ?

Le point final de notre expérience est une boutique. Elle nous offre plusieurs possibilités : quitter le centre en résistant à notre frénésie acheteuse, se purifier par un dernier don consistant à se délester des instruments de notre malheur (CB, portefeuille, argent liquide) ou poursuivre l’expérience avec les produits dérivés du centre et si l’aventure nous tente par un séjour en pension complète.

Et si ce centre de désenvoutement n’était que le décor d’une fiction économique dont le sujet serait la marchandisation de la connaissance et du savoir ? Si tout se vend et tout s’achète, Anaïs Touchot met en scène nos propres contradictions et ambivalences dans cette quête sans fin du bien être et de la perfection dont l’injonction principale pourrait être le « toujours plus ». Point de convergence de rituels symboliques, de performances artistiques et d’actions politiques, le Centre de désenvoutement du capitalisme sera t’il l’opportunité d‘un nouveau départ ?

Richard Guilbert

Remerciements Margaux Germain, Johanna Cartier, Vincent Malassis, Agathe Sezanne, Sara Petit
Photos : Anaïs Touchot


Cérémonie, 2022
Performances lors de la soirée de clôture de l’exposition Le Centre de Désenvoutement du Capitalisme.
Avec Clara Agnus et Thomas Delahaye.

Flyer pour le Centre de désenvoutement du capitalisme

Cérémonie, 2022
Performances lors de la soirée de clôture de l’exposition Le Centre de Désenvoutement du Capitalisme.
Avec Clara Agnus et Thomas Delahaye.

Photos :  Phakt, Centre Culturel Colombier