Anaïs
Touchot

MÀJ . 22.02.2024

C.C.C.

Exposition à la galerie Quinconce, Monfort-sur-Meu, 2019

Matériaux : Arbres magique saveur vanille et citron, bois de récupération, canapés, cage à hamsters, chaînes, curly, fontaine cascade, fleurs artificielles, frigidaire, magnets, micro-ondes, mixeur, mugs, sous vêtements en plâtre, vases, plantes vertes, peinture, plateaux de self-service, pièces de monnaies, poubelle, sculptures en pâte auto-durcissante, télévisions, t-shirts, vêtements de travail.

Photo : Anaïs Touchot

Relax au Centre commercial, 2019
Anais Touchot & Vincent Malassis
Bande sonore de l’exposition
Durée : 4min 52, improvisation vocale d’Anais Touchot sur pièce sonore de Vincent Malassis.

Exposition C.C.C d’Anaïs Touchot,
du 27 septembre au 27 décembre 2019, à la galerie Quinconce - Montfort-sur-meu
par Doriane Spiteri

A l’occasion de l’inauguration de la galerie Quinconce à Montfort-sur-meu, Céline Arnal invite Anaïs Touchot à s’emparer du lieu. Pour cet ancien magasin aux grandes vitrines en façade, face à la gare en plein bourg du village, l’artiste propose une installation originale, retransformant ce lieu en galerie commerciale. Entre fête foraine et centre commercial, l’exposition se présente dans une confusion d’objets et de slogans commerciaux, divisée en différents rayonnages : coin lingerie, pizzeria, coin funéraire ou sportif. Toujours attachée au contexte du lieu d’exposition, Anaïs Touchot avait déjà transformé des espaces de cette manière avec notamment « La Universidad Del Amor » en 2017 en Colombie pour laquelle elle avait créé un véritable club de musculation ouvert à tous et gratuit, ou plus récemment cet été lorsqu’elle a fait du centre d’art l’Aparté un centre de cure thermale. Prêtant attention à ce qui fait communauté, à ce qui rassemble, l’artiste interroge les notions de bien-être et de paradis artificiels.

Dans cette exposition, de véritables frigos, télévisions et canapés dialoguent avec des objets en bois réalisés par l’artiste. Une grande roue de la fortune nous invite à la transcendance, tandis que la pizzeria nommée « ristorante del arte contemporaneo » propose sur des plateaux des pizzas à visages humains. Entre bricolage et sculpture, les objets ne font pas semblant ; le mimétisme est flagrant tout en gardant la simplicité du geste. La valeur attribuée aux objets de seconde main, l’économie du bricolage, le détournement et de recyclage ne sont ici pas anodins. Tout est produit sur place ou récupéré aux alentours pour redonner vie au lieu. Dans cette profusion de produits et de services proposés, Anaïs Touchot n’ajoute pas d’objets au monde.

Elle mélange les enseignes et les services. Le spectateur - ou consommateur - divague dans cet espace trouble et en ruine où tout semble contrefait. Emerge alors un mode de vie dans lequel les objets et services sont consommés et jetés, une pulsion consommatrice transformant les possédant en possédés. Mais dans cet espace abandonné, les objets sont mis au rebus. Cette dépendance de l’homme à l’égard de la matière, ce culte de la profusion arrivé à son paroxysme, paraît toucher à sa fin.

Les formules publicitaires sont omniprésentes, révélant avec force la manière dont les individus ne sont plus seulement motivés par la satisfaction de leurs besoins, mais par une quête identitaire. « Décidez qui vous voulez être », « un jour ou l’autre, ça vous rattrape » : ces slogans écrits à la main par l’artiste n’ont pas pour but de vendre un produit, mais une manière d’être au monde. Le bien-être est devenu un moteur de la consommation. Dans la bande-son de l’exposition « RELAX » réalisée avec l’artiste Vincent Malassis, une musique électronique est ponctuée de différents slogans scandés d’une voix suave par Anaïs Touchot. Elle emprunte ici tous les codes de la rhétorique publicitaire pour générer un désir. Certains inventés par l’artiste – « Nous vous aurons à l’usure », « nous déclarons ouverte l’expérience », « rendre votre vie un peu plus glamour », « posez votre cerveau, tout va bien » - font écho à de véritables slogans : « Et dieu créa la fiat panda ». Cette rhétorique publicitaire révèle la manière dont les publicités ont cessé de vendre un produit pour vendre une image, pour offrir l’accès à un sentiment de plénitude et de bien-être. Plus que des annonces, elles fonctionnent comme des injonctions. A la fin de la bande-son, des indices sont dévoilés à propos du mystérieux titre d’exposition : « Canapé Cuir Convertible », « Combien Ça Coûte », « Centre de Création contemporaine », « Communauté de Consommateurs Cachés » …

Anaïs Touchot nous emmène dans un centre commercial où tout est faux et semblable à la fois, dans lequel les objets semblent avoir toujours été là. Nous n’avons toutefois pas un sentiment d’oppression dans cette exposition qui dévoile au contraire la déchéance d’un système, à l’aune d’un nouveau mode de vie, au moment où de nombreuses personnes font le choix de consommer moins ou autrement, de reprendre leur liberté face aux objets. Au contraire, émane une impression de liberté et de joie face à cette flagrante absurdité.

Copie Carbone Critique (extrait)

Correspondance par mail entre Anaïs Touchot et Anne-Lou Vicente, critique d’art, pendant l’été 2019.
Publiée à 50 exemplaires par Quinconce.

De: Anais Touchot
à: Anne-Lou Vicente
Date: 18 août 2019 12h35
Objet: Une vision de confort moderne

Match nul alors, mes connaissances ne sont guère meilleures que les tiennes puisqu’elles se sont limitées à collectionner des petites icônes de joueurs dans mon album Panini.

Album qui, au passage, se lit comme un ABC d’Hair.

À la manière des petites vignettes, il va falloir reconstituer des équipes, l’occasion de les dépareiller.
Pourquoi ne pas en faire de même des maillots ?

Les mots d’encouragement aiguisant plus ma curiosité que les chiffres, les noms et les sponsors, c’est sûrement eux qui apparaîtront sur les joueurs de quoi partager une bonne dose de courage.

Sélectionner des prétendants selon leur pointure… C’est très Cendrillon, non ?

Ce petit côté quelque peu rustique me ramène au tournoi de joute, de longs maillots flottant au vent…

Si ce n’est pas une mise à mort, c’est au moins une mise en défaut.

Cette fois-ci pas de produits dérivés, seulement le trophée. Mais tu fais bien d’en parler puisque j’imagine, entre autres, une boutique du stade de bois dans mon exposition à Quinconce.

J’ai envie de transformer l’ancien local commercial de cette galerie non commerciale en centre commercial.

Comme on dit « deux salles, deux ambiances », j’ai envie de mélanger les enseignes, les services, les rayonnages, les manèges.

De l’espace lingerie à l’espace restauration, tout en passant pourquoi pas par quelques articles funéraires, sportifs et évidemment la perle dans ce domaine, l’électroménager. J’ai des envies de créatures mécaniques, de rachat d’or passé au mixeur, de peintures qui tournent à la vitesse des hélices des ventilateurs, de confort physique et psychique passé au micro-ondes…

Peut-être que ces trois semaines passées en fourgon ont ouvert en moi un côté camping-cariste, à la recherche de sécurité matérielle.

Un espace de bonheur collectif bien qu’au bord de la faillite. Mes sculptures avec leurs aspects bricolés, improvisés ne pourront que teinter le centre d’activités d’une odeur de contrefaçon, où malgré une assurance qualité, le goût des objets est à rebours de l’énoncé, presque contre-moderne…

Heureusement que vous pourrez y être accompagné. J’imagine Pam à la lingerie, l’occasion d’ouvrir de vieux tiroirs et de sortir mes slips kangourou en porcelaine. Barbara à l’onglerie, de quoi proposer une version non performative de ma pièce Travailleur de beauté.

Tout cela sous les parfums de la pizzeria Del Arte contemporaneo.

Je te laisse avec ces quelques idées, je rentre demain à l’atelier de quoi mesurer si tout cela est réalisable.

Bien à toi,
Anaïs

P.-S. : souvenirs de vacances griffonnés en noir et blanc.

De: Anne-Lou Vicente à: Anais Touchot
Date: 21 août 2019 15h57
Objet: Une vision de confort moderne

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se mélange…

Me flottent dans la tête des odeurs de panini sous vide, de vernis à faux ongles et de ballon d’or déliquescent. Un vrai carnaval du fake puissance maximale.

De manière totalement hasardeuse, je suis tombée hier sur un livre consacré aux multiples réalisés par Claes Oldenburg entre 1964 et 1990. Dans le texte qu’il contient, Thomas Lawson évoque l’installation-boutique The Store, logée sur la Second Street, dans le Lower East Side à New York, pendant environ une année à partir de Noël 1961. L’artiste pop y « vendait des objets fabriqués à l’image des choses les plus ordinaires de la culture américaine — vêtements, chaussures de gymnastique, pneus de voitures, hamburgers, parts de tarte. Ces produits, décrit l’auteur, faits avec de la toile imbibée de plâtre et peints à l’émail Duco déposé par dripping et dégoulinement à la manière pollockienne homologuée, étaient vendus comme des objets.
Le magasin remplaçait la galerie, le hamburger l’abstraction, l’artiste le marchand. […] Ainsi, The Store copiait son environnement, métamorphosant la réalité des rues sordides en un théâtre aux représentations joyeuses, dans lequel l’exposition résolument familière de répliques, fabriquées à la main, d’objets produits en série faisait naître une lueur d’espoir ».

On imagine bien la charge ironique de l’entreprise d’Oldenburg qui s’emploie à singer grossièrement et allègrement les biens et les rituels de la société de consommation — (super)marché de l’art inclus — dans laquelle baigne alors l’Amérique, tout en convoquant le populaire, le vernaculaire, l’artisanal, le low-tech, le mauvais goût, etc.

Tu me vois venir avec mes gros sabots ?

J’ai drôlement hâte de (sa)voir ce qui figurera en têtes de gondole de ton futur centre commercial.

À bientôt,
Anne-Lou

De: Anaïs Touchot
à: Anne-Lou Vicente
Date: 26 août 2019 01h44
Objet: C.C.C.

Chère Anne-Lou,
C’est le coeur rempli de bonheur en façade et d’émotions en cascade que je t’envoie cette suggestion de présentation :

C.C.C. :

Canapé Cuir Convertible
Classic Car Club Comité
Contre les Chats
Combien Ca Coûte
Centre de Création Contemporaine
Chlorure de Calcium Comestible
Centre Culturel Chinois
Convention Collective Comptable
Communauté de Commune Cholet
Chaos Chaos Chaos
Courtepaille Commodité Chimique
Cadre Cascade Créatif
Certifié Copie Conforme
Café Crème Cigarillos
Client Content Certifié
Coiffure Cheveux Courts
Corpus Comédie Classique
Camping Car Compact
Calculette Crédit Conso
Cérémonie Civile Commémorative
Chiot Chihuahua Croisé
Circulaire Changement Complet
Cerveau Connecté Conscient
Camp Célibataire Chrétien
Centre Commercial Cheap
Communauté de Consommateurs Cachés …

Bien à toi,
Anais

De: Anne-Lou Vicente
à: Anais Touchot
Date: 26 août 2019 09h38
Objet: C.C.C.

Tiens, ça me donne une idée pour le titre de cet entretien…

Copie Carbone Critique ?