Elsa
Tomkowiak

13.05.2019

Sans-titre / Raies, 2016

Film de paletisation, peinture acrylique,
Vues de l’installation, dans l’exposition “Oh! Les filles” avec les oeuvres de Christelle Familiari et Anne-Marie Rognon,
à la Cour Carré de Coueron, commissariat Jean Bonichon.
Photos: Jean Bonichon.
© Adagp, Paris

“il n’y a rien de plus sérieux qu’un enfant qui joue”

Cet adage pourrait convenir aux pratiques de Christelle Familiari, Anne Marie Rognon et Elsa Tomkowiak.
Les trois artistes invitées à exposer à l’Espace Culturel de la Tour à Plomb proposent des oeuvres qui s’amusent
et amusent l’espace cubique de la ville de Couëron.
Derrière des atours simples, se cachent des exigences certaines et propres à l’art par les intentions et la générosité.
Christelle Familiari offre en matière des instantanés indicibles aussi vifs que spontanés, sensibles à l’action de vie ;
Anne Marie Rognon détourne, par brèches poétiques, des formules usuelles en des formes justes et incongrues
quant aux possibles ; dans une pluie colorée, Elsa Tomkowiak distille au lieu des lumières estivales dans
l’expérience d’un orage calme et praticable.
Colonisant la Cour Carrée, les sculptures, peintures et installations des artistes prennent la formation d’une
armada libre et sauvage. Pourtant les jeux y sont soignés, habiles et précis.
Ces “enfants” jouent au plus sérieux.
Par strates, chacune semble avoir soigneusement rangé des oeuvres qui se répondent en une joyeuse arrogance
teintée de respect.
Et si les artistes se sont fragmentées l’espace, c’est sûr ces trois là sont faites pour s’entendre en offrant le meilleur.
Comme si le ciel devenait le domaine d’Elsa, la ligne d’horizon est dédiée aux oiseaux et légumes paysagés d’Anne
Marie, alors que Christelle s’est attachée à l’essence minérale.
Ainsi l’espace des plus carré se trouve partitionné en trois niveaux trop poreux pour être effectifs ; car si les artistes
se sont accordées chacune un territoire, les frontières s’y font flottantes, les rapports de teinte équilibrés et les
combinatoires de matériaux faussant toutes classifications :
En son ciel, planent des lignes colorées qui découpent le plafond à plus de dix mètres de haut ; Elsa Tomkowiak
a imaginé cette traine de météorite en dégradé rainbow qui irradie la salle par l’intrusion lumineuse des fenêtres
de toit. À l’impact, cette comète en majesté a projeté de petits débris de couleur ; dispersés, les éclats stellaires
jonchent ça et là l’espace d’exposition.
À l’horizon, les oiseaux exotiques d’Anne Marie Rognon volent tout azimut ; ces migrateurs, tout droit sortis
d’une jungle tropicale, franchissent l’océan pour offrir à voir le sillage de leurs plumes enluminées. Dans l’espace
centrale, des micronésies flottent et proposent des refuges de surfaces plantés de légumineuses. Non loin, une
bête à laine croque le paysage insulaire.
Des fonds marins, les concrétions de Christelle Familiari forment des reliefs karstiques pétrifiés. Le matériau
sédimentaire se découpe sur le sol de béton par des quartz mats à la géologie aussi précise qu’aléatoire. Pour
autant les fumerolles fossiles ne semblent pas figées, leur danse est simplement arrêtée ; dans leur pose, elles
donnent à voir quelques perles de lumière.
Nulle confusion possible entre les propositions qui pourtant se combinent en une organisation délicate au plus calibrée.
Là est bien la force de l’intention collective des trois artistes car le bavardage exigeant des oeuvres entre elles
pousse le visiteur à appréhender cette famille recomposée comme un ensemble, un tout.
Sortant des chemins trop conventionnels le visiteur fera la rencontre de drôles de paysages, de gestes simples et
assumés fixés en matière et d’un espace spectral non attendu.
L’expérience se fait sensible, et si s’établit un lien entre les oeuvres, il tient à chacun de se rapprocher des pièces
aux dimensions variées pour y découvrir un monde.
C’est l’esprit qui imagine la forme et l’agence, c’est bien la main qui donne naissance. Dans ce faber, les trois
artistes font montre d’une patte singulière, d’aucuns diraient d’un style propre.
C’est en brisant les espaces et les lignes, que Christelle Familiari, Anne Marie Rognon et Elsa Tomkowiak nous
donnent à expérimenter un paysage poétique, encore inédit et d’une rare élégance.
Et si danse le carrousel de la cour carrée, les filles savent y poser leurs règles.

Jean Bonichon, Nantes, juin 2016